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Témoignages d'entomologistes

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Dans la série Archorales (archives orales de l'INRA), on lira les souvenirs, recueillis et mis en forme par Denis Poupardin, de Jean Louveaux, Remi Coutin, Jacqueline Nioré, Jacques Stöckel, Henri Audemard.
Tout frais en ligne : ceux du tome 7 : Gilbert Jolivet et Daniel Martouret.
En ligne (télédéchargeable au format Acrobat) ici, la Chronique historique de la Zoologie agricole française, par Pierre Grison.

Pour les jeunes qui voudraient étudier les insectes mais qui n'en n'ont pas les moyens (Rémy Chauvin)


Pour les jeunes qui voudraient étudier les insectes mais qui n'en n'ont pas les moyens

Par Rémy Chauvin

Il y a bien des années de cela, un de mes collègue, le professeur Delamare Deboutteville, se promenait sur une plage de Bretagne à marée basse ; il nota ce qu'on avait vu déjà depuis l'origine de l'homme : le pied laisse une empreinte dans le sable humide et lorsqu'on est assez près des flots, l'empreinte se remplit très vite d'eau… Il y avait une remarque que personne avant lui n'avait faite. C'est que l'eau n'était pas limpide, mais légèrement trouble… Je ne sais pourquoi il en préleva un peu et l'observa ensuite au microscope : l'eau grouillait littéralement d'animalcules de nombreuses espèces qui vivaient entre les particules de sable, humectées en permanence. De ces animaux, beaucoup étaient inconnus : c'est la faune interstitielle, innombrable, qui depuis des millions d'années se développe dans ce milieu spécial : le sable humide.

Où vais-je en venir ? A ce que les jeunes entomologistes dépourvus de tout sauf de bonne volonté, peuvent faire s'ils ont quelque peu de suite dans les idées. Il peuvent découvrir toute une microfaune innombrable, et à peu près aussi mal connue que la faune interstitielle : c'est l'ensemble des insectes qui se déplacent dans la "microforêt" qu'est pour eux un champs cultivé (je choisis le champ cultivé parce qu'il se compose en principe d'une seule plante et que la faune y est plus facile à étudier que dans une prairie sauvage, où cohabitent de nombreuses plantes très différentes).

Tandis que je dirigeais le laboratoire de Bures-sur-Yvette, destiné en principe à l'étude des abeilles, il existait dans la campagne voisine de grands champs de luzerne, et il fallait être aveugle pour ne pas remarquer la faune des insectes, sois disant bien connue, qui les fréquentait.

Je veux parler bien sur des insectes de taille moyenne, mais pas trop petits toutefois, enfin de ceux qu'on décrit d'habitude quand on parle de la faune de la luzerne ; je me posais à ce moment là un problème très simple mais à mon avis mal résolu : comment attraper ces insectes minuscules ? Comment en prendre un échantillon qui corresponde bien à la population globale de la population ?

Il y a de bonnes vieilles méthodes, comme le filet fauchoir dont tout le monde sait qu'il enlève les insectes qui veulent bien s'y faire prendre, les autres ayant déguerpi dès qu'il approche ; et pourtant à peu près toute notre écologie repose sur des méthodes de prélèvement qui ne sont pas tellement plus solides que le bon vieux fauchoir.

J'avais essayé autre chose, comme un aspirateur électrique placé en plein champ : il capturait, lui, tous les insectes que son bruit, et le violent courant d'air qu'il engendrait, n'avait pas écartés d'office.

Que faire alors ? Restait la bande gluante, le vulgaire papier tue-mouche qui attrape les mouches - c'est incontestable- mais aussi les insectes petits ou très petits, qui semblent alors réduits en bouillie innommable. Peut-être en se débattant engluent-ils immanquablement leurs grandes ailes et les déchirent ?

Il faudrait faire comme l'araignée, qui depuis bien des millions d'années, n'a pas attendu l'homme pour attraper les mouches. Mais comment faire une toile d'araignée artificielle, qui ne déflecte pas les filets d'air en mouvement lorsqu'ils se heurtent à toute la largeur de la bande ? J'ai songé à engluer un grillage à mailles de 1 centimètre de large, et c'est là que j'ai eu, je l'ai déjà raconté, une des plus grandes émotions de ma carrière : au bout d'une heure, les fils de métal du grillage étaient grumeleux, à cause des insectes minuscules et innombrables qui s'y était collés.

Restait à les décoller : après quelques tâtonnements, je trempai le grillage dans une cuvette pleine de trichloréthylène (attention aux vapeurs toxiques !) propre à dissoudre parfaitement la glu. Après plusieurs lavages dans le trichloréthylène, les insectes sont "propres" ; on les passe ensuite dans l'alcool fort environ une heure. On peut alors les préparer pour l'identification. Le mieux est de les poser sur une plaque de verre, de les couvrir d'une lamelle de microscopie, en verre très mince, qui permet de les étudier sans difficulté. Toutefois, il peut être nécessaire d'en conserver les principaux types ; dans ce cas il faut de nouveau faire appel aux techniques de l'immersion : on prépare une solution "d'altuglas" avec de petits copeaux de ce corps qu'on laisse séjourner de huit à quinze jours dans le trichoréthylène ; il s'ensuit une colle liquide et tout à fait transparente dans laquelle in convient d'engluer l'insecte préparé comme il vient d'être dit ; on obtient des spécimens couverts d'une pellicule transparente et indélébile, solidement fixé au verre et q'on peut étudier par dessus et par dessous.

Tout cela est plus facile à dire qu'à faire, mais un peu de pratique permettra de vérifier la méthode, évidemment plus complexe que celle qui consiste à piquer simplement les insectes sur une plaque de carton.

Mais les ennuis du jeune entomologiste qui m'a suivi jusque là ne sont pas finis ; beaucoup de ces microinsectes, Lépidoptères, Diptères et surtout Hyménoptères sont mal connus , à cause justement de la difficulté de leur capture et de leur préparation. Il faudra pourtant les déterminer! C'est ici que je vous abandonne, mon cher et jeune lecteur : vous constaterez rapidement que les spécialistes de ces minuscules ne sont pas légion et il faudra vous battre longtemps! J'ai d'ailleurs compris rapidement que la plupart des espèces ainsi capturées étant nouvelles…eh bien ! Il ne vous reste plus qu'à en devenir le spécialiste !

Supposons toutes ces difficultés résolues ; il en reste quelques autres ; les dimensions de la plaque engluée par exemple (il semble que la taille de la main soit la plus convenable). Ensuite, si on pose la plaque au sommet de la tige près des fleurs, de gros insectes comme les abeilles viendront s'y engluer ; il faut alors protéger la plaque par une boîte de grillage non englué celui là, mais qui empêche les gros insectes de passer.

Ou alors, on pourra choisir de récolter uniquement les gros insectes, qui seront facilement reconnaissables ; les plus petits seront récoltés sur des pièges à part.

Mais il existe une zone importante à prospecter : c'est le sol du champ. Une quantité d'insectes s'y déplacent en marchant et ils n'ont pas grand chose à voir avec ceux qui fréquentent les fleurs. On emploie d'habitude pour les prélever les pièges de Barber qui sont des pots assez larges, à moitié plein d'eau surmontée d'une couche d'huile de paraffine. Les quantités d'insectes qu'on récolte ainsi sont étonnantes.

Mais j'ai donné aux pièges Barber une autre forme : celle de gouttières d'environ un mètre de long, obturées aux deux extrémités et enterrées horizontalement au ras du sol et dans lesquelles on verse de l'eau surmontée d'une couche d'huile de paraffine, comme ci dessus.

Cette disposition a un avantage : il existe des insectes qui viennent de l'extérieur vers le champ de luzerne ou au contraire qui le quittent. On peut les distinguer en plaçant deux gouttières l'une derrière l'autre, l'une du côté du champ et l'autre du côté extérieur. J'ai constaté qu'une espèce de carabe tombait dans les gouttières en venant de l'extérieur et toujours du même côté.

Munis de ces appareils relativement simples, on pourra alors étudier l'écologie du champ. On s'apercevra très rapidement qu'il y a des migrations horizontales dans le champ et aussi et surtout des migrations verticales ; beaucoup d'insectes se trouvent toujours à la même hauteur suivant l'heure du jour, pourvu que les conditions climatiques soient constantes. On verra d'autres phénomènes curieux : par exemple si au milieu du champ, on coupe les luzernes sur un mètre carré, dans la microclairière ainsi constituée, la température va monter rapidement au dessus de celle du champ et corrélativement, les insectes y sont bien plus nombreux ! Ne pourrait-on, en utilisant ce fait si simple piéger en plus grande quantité des insectes nuisibles dans ces microclairières, et ne les tuer que là ?

Je signalerai en finissant un phénomène étonnant étudier par Maurice Roth, un de mes élèves particulièrement brillant : il déroula une bande plastique d'environ 100 mètres de long et d'un mètre de large verticalement au niveau des zones florales de la luzerne. Le plastique, enduit d'un insecticide, ne dépassait les fleurs que de cinquante centimètres ; il traita alors par un insecticide une bande de luzerne d'un mètre de large, d'un des côté de la toile et non de l'autre. Il pensait que la zone dépeuplée se repeuplerait très vite. Elle se repeupla au contraire très lentement comme nous le montrèrent nos pièges. On constata que beaucoup de petits insectes volent au niveau des fleurs mais pas beaucoup plus haut : ils ne peuvent dépasser la bande plastique qui les surmonte de quelques dizaines de centimètres. Ce phénomène de comportement doit pouvoir être utilisé dans la lutte contre les insectes des cultures.

Précautions indispensables

Il existe quelques difficultés que je n'ai pu surmonter jadis mais on doit pouvoir leur trouver maintenant une solution.

La première est le problème de la glu. Ce produit de fabrication surtout artisanale est d'une composition et surtout d'un mode de préparation mal définis, mais il a le pouvoir de rester collant pendant de longs jours sans se dessécher. Il est prudent avant de commencer ce type de recherche de s'approvisionner en quantité suffisante de glu ; mais dans la gamme immense des adhésifs actuels, on doit pouvoir trouver des préparations collantes d'une qualité analogue - encore faut-il qu'elles ne soient pas répulsives pour les insectes et qu'elles restent collantes indéfiniment- ; il faut aussi bien sur qu'un solvant puisse les enlever à volonté.

La seconde difficulté est systématique. J'ai déjà signalé le rareté des spécialistes pour toute une série de micro-insectes qui n'intéressent pas le collectionneur, car il ne les voit pas. Eh bien! Il se trouvera sans doute de jeunes systématiciens intéressés par des êtres vivants qui jouent un si grand rôle en tant que parasites d'insectes par exemple.

Il y a donc dans ces recherches rien qui ne soit impraticable pour des jeunes isolés et sans moyens. On a envoyé le radeau des cimes en Amazonie, à la découverte de la faune inconnue de la cime des grands arbres. Je remarque que la faune des cimes des sapins de la forêt des Vosges, sous mes fenêtre, est non moins inconnue, et qu'on pourrait l'explorer à moindre frais.

Et qu'enfin à nos pieds le champ cultivé, ce vieux compagnon de l'homme recèle toute une faune dont le comportement nous est pratiquement inconnu. Son étude est pourtant facile et conditionnerait en grande partie des méthodes de lutte non empiriques.

Je souhaite que de jeunes enthousiastes puissent entreprendre ce travail puisqu'il est réalisable sans crédits ni moyens d'aucune sorte, mais avec une forte dose de patience et de persévérance.

Rémy Chauvin
18 rue Burrus, 68160 Sainte-Croix-aux-Mines

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