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Phoracantha

par Alain FRAVAL et Mohamed HADDAN

Actes Éditions (Rabat), coll. Doccuments scientifiques et techniques, 1989, 38 p

9. LA PREVENTION ET LA LUTTE

P. semipunctata était annoncé depuis longtemps dans nos régions (BALACHOWSKY, 1962) et faisait, en principe, l'objet de mesures de quarantaine consistant à contrôler les importations de bois d'Eucalyptus. Ceci a peut-être retardé mais n'a pas empêché l'extension de l'insecte à tout le pourtour de la Méditerranée occidentale (cf. ci-dessus). En Espagne, on s'efforce de confiner Phoracantha au sud de la péninsule (CADAHIA CICUENDEZ, 1984) en contrôlant les transports de bois et en traitant les grumes.

Dans la plupart des cas, il n'est plus question de prévenir l'invasion mais de réduire l'incidence du ravageurdevenu omniprésent. On distinguera des mesures à court terme, visant à réduire l'effectif du ravageur, arrêter ses dégâts, aider les arbres à résister dans des zones où il pullule et des mesures à long terme destinées à rendre le milieu intrinsèquement hostile à l'insecte.

De nombreux auteurs s'accordent à dire que la lutte contre P. semipunctata est difficile (GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ, 1983 ; GONZALEZ TIRADO, 1984 ; SCRIVEN et al., 1986) à cause de la biologie de l'insecte, des conditions de main d'eeuvre, de l'interdiction de certains insecticides, etc. De ce fait, aucune des opérations de lutte réalisées jusqu'à présent n'a eu de succès évident. On ne dispose d'aucun moyen sûr et efficace pour réduire les effectifs du ravageur, surtout en période favorable (sécheresse). On examinera en premier lieu les méthodes pour protéger le bois coupé.

9.1. Cas des grumes et perches

Les grumes sont stockées sur place dans l'attente de leur utilisation (carbonisation, pâte à papier, etc). Les perches d'Eucalyptus sont d'usage fréquent dans les exploitations agricoles et les installations pour l'exploitation forestière. Le bois coupé attire très fortement les adultes de Phoracantha et les larves s'y développent très bien (cf. Ci-dessus). Il convient de traiter les grumes et les perches pour éviter à la fois la destruction de ces matériaux ou leur dépréciation et pour empêcher qu'ils ne constituent un foyer du ravageur.

L'écorçage prive l'insecte de lieux de ponte et du substrat nutritif indispensable à ses larves. Il élimine aussi les larves déjà développées. Cette opération doit être effectuée avant la pénétration pour la nymphose, soit moins de 1,5 à 3 mois après la récolte, selon la saison. Des écorçages partiels sont en principe suffisants car la larve a besoin de place pour achever son développement (cf. ci-dessus) et le déssèchement accéléré rend le substrat impropre.

Cette mesure est largement préconisée en Afrique et dans nos régions (CHARARAS, 1969; LOYTTYNIEMI, 1980; EL YOUSFI, 1982; CADAHIA CICUENDEZ, 1984). Elle n'est pas envisagée en Californie du fait de son coût prohibitif (SCRIVEN et al., 1986).

Une alternative consiste à traiter chimiquement les bois stockés, soit par fumigation, soit par des toxiques de contact. Les organochlorés (D.D.T., H.C.H.,. Lindane) ont été largement employés pour tuer les adultes à la recherche de sites de pontes et les larves nouveau-nées (CAVALCASELLE, 1971 ; LOYTTYNIEMI, 1980; GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ, 1983; KISSAYI, 1987). Une certaine répulsivité a été notée (CHARARAS, 1969). A l'issue d'un essai comparatif de 8 matières actives, le Lindane en poudre à 2% s'est montré le plus efficace (GONZALEZ TIRADO, 1984). Ce produit n'est pas autorisé au Maroc. L'Azinphos-méthyle (50 g MA/hl) tue les adultes émergeants (CAVALCASELLE, 1971).

9.2. Cas des arbres sur pied

La lutte contre P. semipunctata relève, dans l'état actuel de notre savoir-faire en lutte chimique comme en lutte biologique, de méthodes "environnementales", agissant sur l'insecte-cible par une modification artificielle de son lieu de vie par des procédés de sylviculture.

Si plusieurs organo-chlorés et organo-phosphorés se sont révélés des toxiques efficaces vis-à-vis des adultes essaimants, l'application de tels insecticides n'est pas envisageable à cause de leur toxicité générale, accrue par les répétitions de traitement rendues indispensables par la durée de la période de vol de cet insecte (EL YOUSFI, 1988).

Des tentatives de lutte biologique ont été faites en Afrique méridionale. Dès 1917, y furent introduits un Megaleridae et un Braconidae dont on a perdu la trace. En 1966 et 1970 de nouvelles tentatives eurent lieu sans grand succès (LOYTTYNIEMI, 1980; GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ, 1983). De nouveaux essais sont encouragés par MENDEL (1985) et il est prévu une mission de prospection en Australie (EL YOUSFI, comm. pers.) à la recherche d'auxiliaires pouvant s'acclimater dans le Bassin Méditerranéen occidental.

Les méthodes sylvicoles sont par contre particulièrement adaptées au cas de P. semipunctata. Elles reposent sur le fait que l'insecte est nettement secondaire (cf. ci-dessus). Dans un peuplement, il ne peut exploiter que les arbres déficients et morts (il est évident qu'un nettoyage ou "assainissement" privera l'insecte de ses ressources: lieux de ponte et de développement des larves), d'autre part, le fait que les adultes sont très fortement attirés par des rondins de bois mort fraîchement coupés et non écorcés est mis à profit pour pièger les adultes et réduire les effectifs du xylophage. Ces deux techniques sont complémentaires. EL YOUSFI (1988) préconise des interventions sylvicoles pour assainir les zones infestées (lutte curative) et des interventions particulières comme le traitement des souches, le piégeage, pour assurer une meilleure protection des peuplements indemnes (lutte préventive).

Le nettoyage des eucalypteraies consiste à repérer puis à couper les arbres hébergeant des larves de Phoracantha en masse. Les symptômes de l'attaque de l'arbre ne sont pas toujours évidents et leur reconnaissance demande un eeil un peu exercé. Le bois abattu doit être examiné pour juger de l'avancement de l'attaque et décider en conséquence du traitement à lui appliquer: intervention chimique, écorçage, trituration immédiate ou carbonisation sur place (EL YOUSFI, 1988).

Ces opérations très simples dans leur principe, posent de redoutables problèmes pratiques. EL YOUSFI (loc. cit.) indique que le plan de nettoyage qu'il avait organisé en 1981 n'a pu aboutir qu'à l'élimination du quart des arbres visés. Les personnels des Eaux et Forêts et les adjucataires des coupes s'étaient alors trouvés dépassés par l'ampleur de la tâche et handicapés par des procédures administratives trop lentes. On insiste sur le fait que les mesures de lutte sylviculturale, basées sur des propriétés du système arbre/insecte/climat, doivent être réalisées en fonction de l'évolution chronologique constatée sur le terrain. Elle est d'ailleurs de mieux en mieux prévisible grâce aux travaux des entomologistes.

Hors des périodes d'attaques massives, l'effort doit être maintenu régulièrement. Les chablis, arbres tombés et autres bois gisants doivent être écorcés ou brûlés.

Un problème souvent posé, en relation avec de telles coupes d'assainissement, est le diamètre minimal d'une tige d'Eucalyptus capable d'héberger une larve. L'opinion selon laquelle seuls les gros arbres (diamètre supérieur à 20 cm) doivent être éliminés i été souvent émise. Nous avons osbervé des systèmes complets de galeries dans des roncs bien moindres (env. 10 cm de diamètre) et dans des perches (employées comme barrières) encore plus minces (5 cm).

Les souches demeurant en place après la coupe peuvent-elles perpétuer l'infestation par Phoracantha ? EL YOUSFI (1988), examinant cette question, relate des projets d'éradication du xylophage des souches par traitement chimique, récupération des adultes émergeants sous des cages en grillage et brûlage (NOGUEIRA, 1983 in EL YOUSFI, loc. cit.). Il conclut fort justement au manque d'expérimentation.

On sait très peu de choses des stimuli qui orientent le vol des adultes (cf ci-dessus ). Aucun appât n'a été trouvé empiriquement ; on utilise donc pour pièger les adultes de Phoracantha du bois mort venant d'être coupé.

La technique dite des arbres-pièges ou plus exactement des rondins-pièges a fait l'objet d'essais (CHARARAS, 1969 ; LOYTTYNIEMI; 1980) et d'évaluation extensives (GONZALEZ-TIRADO, 1984). Le principe est de sacrifier quelques arbres, de les débiter en billons et de tuer les Phoracantha qui les ont colonisés par écorçage, traitement chimique (cf. ci-dessus) ou brûlage. Le meilleur piège semble bien consister en un tas de billes de bois de 15 cm de diamètre (0,2 à 0,6 st), munies d'encoches faites à la hache et recouvertes de feuillage; ceci correspond à 2 ou 3 arbres (GONZALEZTIRADO, loc. cit.). Outre ce dispositif, CHARARAS (1969) a essayé d'autres façons de réaliser de tels pièges (arbres cassés, annelés, etc.) et a enregistré des résultats inconsistants. La densité et le rythme de renouvellement des pièges dépendent des circonstances et peuvent être ajustés au fur et à mesure. En Tunisie, CHARARAS (loc. cit.) abat 2 à 6 arbres/ha à intervalles de 20 jours, ce qui représente, pour la durée de la campagne, un sacrifice de 3 à 4% du parc. Une densité de pièges bien moindre est préconisée par GONZALEZ-TIRADO (1984), pour le sud de l'Espagne: de 1 piège pour 100 ha (ou 1 tous les km) à 1 piège pour 10 ha (1 tous les 300 et quelques m); leur remplacement est à prévoir toutes les 2 semaines en belle saison, sinon tous les mois. D'après les résultats des campagnes de 1982 et 1983 dans les provinces de Huelva et de Séville, la méthode est efficace et rentable.

Au Maroc, les essais prévus en 1982 n'ont pas été faits, les pluies de mai ayant permis aux Eucalyptus de reprendre le dessus (AMAOUN et EL HASSANI, 1982). Cette pratique demande une discipline sans faille pour le relevé et la destruction des pièges. Son emploi efficace dans les conditions marocaines est mis en doute par beaucoup.

9.3. Protection à long terme

Vu son caractère nettement secondaire, P. semipunclata ne sera maîtrisé efficacement et durablement que dans des plantations d'Eucalyptus qui lui sont intrinsèquement défavorables, par la bonne vigueur constante des arbres et/ou par des propriétés héréditaires de résistance.

L'évaluation de la résistance de différentes espèces d'Eucalyptus a fait l'objet de plusieurs travaux. POWELL (1978) dispose des rondins-pièges de 12 espèces différentes. I1 enregistre au bout de 6 mois le degré de colonisation atteint (estimé par le nombre de galeries larvaires et le nombre de galeries par ponte); il obtient un classement, indépendant des affinités botaniques. Le degré de colonisation est bien la résultante du jeu de plusieurs facteurs (attraction, qualité des sites de pontes, nature de l'écorce, valeur alimentaire, etc.) qui interviennent aussi lors de l'attaque de l'arbre vivant, mais vraisemblablement pas de la même manière. Ainsi EL YOUSFI (1986) précise-t-il, pour le Maroc, le statut des principales espèces. E. torquata est une espèce très bien adaptée, quoique peu productive. Cette espèce est à employer en plantations de protection des sols. E. carnaldulensis, qui couvre environ 100 000 ha, est assez bien adapté au climat. E. falcata et E. cladocallyx doivent faire l'objet d'une sélection complémentaire avant d'être utilisés. Quant à E. gomphocephela, à moins d'être planté dans des sols profonds et fertiles, il est très sensible à Phoracantha.

Ces résultats sont obtenus en arboretum. Il importe de les compléter par des recensements des attaques, des mortalités des arbres et des reprises de végétation dans les conditions de la sylviculture industrielle, ceci pour dégager les associations espèces (+ écotype) - pédoclimat les plus favorables.

D'un autre côté, cette recherche empirique doit être associée à des investigations particulières sur les rapports Phoracantha/Eucalyptus, étape par étape de la colonisation de l'arbre par l'insecte. U n repère de la"vigueur" de l'arbre facile à mesurer sur le terrain doit être établi.

Ainsi, plusieurs pistes basées sur des méthodes à la fois directes et indirectes sont ouvertes pour lutter contre cc ravageur. La création de plantations intrinsèquement hostiles à Phoracantha est de toutes façons nécessaire.

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Chap. 10. CONCLUSION

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