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Miscellanées

Les pompiles, insectes chasseurs d'araignées

Les mœurs des Pompiles, aux techniques de chasse des plus variées, sont fascinantes. Grâce à de longues heures d’observations passées sur le terrain, Edgard Gros nous fait partager ses découvertes étonnantes.

La famille des Pompilidae, divisée en trois sous-familles (Pepsinae, Pompilinae, Ceropalinae), comprend des Hyménoptères dont la coloration est assez uniforme : entièrement noire ou noire avec la base de l’abdomen rouge. Le bord postérieur du pronotum n’atteint pas les tegulae tandis que les fémurs postérieurs dépassent le milieu de l’abdomen. Les plus gros Pompiles (Cryptocheilus rubellus Eversman) de nos régions peuvent atteindre 32 mm et les plus petits 5 mm (Microphadnus pumillus Costa). On compte environ 150 espèces pour la région ouest-européenne.
Les Pompiles capturent des Araignées pour leur progéniture à raison d’une proie par larve. D’autres Hyménoptères Sphecidae (Sceliphron, Miscophus, Pison, Trypoxylon) chassent également des Aranéides mais à raison de plusieurs proies par cellule. Depuis Fabre en passant par Ferton, Adlerz, Maneval, Grandi, Soyer etc... les mœurs des Pompiles n’ont cessé de fasciner ceux qui ont étudié ces insectes.

À armes égales

Le Pompile possède un aiguillon et l’Araignée, des chélicères, dans ces conditions on pourrait s’attendre à un duel épique entre les deux antagonistes. Or il n’en est rien. L’Araignée est comme inhibée devant son ennemi qu’elle ne cherche pas à capturer. Toute son action est tendue vers la fuite, son seul salut. Si Ferton, Soyer et moi-même avons observé des Araignées résister et parfois contre-attaquer par des coups de pattes ou en se jetant sur leur ennemi, cela n’est d’aucune conséquence pour le Pompile.
Sur les méthodes de chasse qui vont suivre je résumerai l’ensemble de ce que l’on connaît de chacune d’entre elles.
Les Araignées errantes (Thomisidae, Lycosidae, Salticidae...) payent le plus lourd tribut comparé aux autres groupes. La guêpe parcourt par un déplacement saccadé le biotope ou sa proie évolue et, à moins d’avoir capturé celle-ci dès qu’il l’a repérée, le Pompile est très souvent obligé d’effectuer des recherches pour la retrouver, d’autant qu’elle s’enfuit bien avant d’avoir été rejointe. Aidé sans doute par son sens olfactif, l’Hyménoptère entreprend des investigations au vol d’une façon saccadée. Il inspecte minutieusement le dessous des pierres, des feuilles, grimpe le long des tiges des plantes et sur les branches d’arbustes etc., bref tous les éléments qui constituent le biotope de la proie au moment de l’action. La durée de la poursuite est très variable mais dépasse rarement dix minutes, tout au moins en ce qui concerne mes propres observations.

Cryptocheilus alternatus (Lepeletier) est l’un des plus grands Pompilides de France
(Cliché H. Guyot)


Finies les corvées de terrassement

Une fois, je fus témoin d’une scène peu banale. Une Pardose fut poursuivie, rattrapée et paralysée par deux Priocnemis en même temps. Une espèce fort rare, Agenioideus coronatus N et R, chasse des Aelurillus V. insignitus Clerck, araignées sauteuses à la vue perçante. Le Pompile explore le maquis, biotope qu’affectionne particulièrement sa proie. Celle-ci a tôt fait de reconnaître à distance son ennemi dont elle suit tous les mouvements. Lentement, méticuleusement, il inspecte le terrain et passe parfois sans la voir à dix centimètres de sa proie immobile. Sur le point d’être découverte, l’Araignée s’enfuit en faisant des bonds, suivie ou non de son agresseur. Si le Pompile ne la laisse pas s’échapper définitivement, l’Araignée est rejointe après deux ou trois bonds et paralysée en pleine course. L’agilité extraordinaire que déploie alors l’Agenioideus ne le cède en rien à celle d’un Tachysphex (Hyménoptère Sphégide, prédateur d’Orthoptères) immobilisant son criquet. La paralysie fort passagère, cinq minutes environ, l’une des plus courte chez les Pompilidae, suffit néanmoins à cette espèce pour pondre un œuf sur l’abdomen de sa victime qu’il n’enterre pas à la différence de la majorité des autres Pompiles.

Dans les mailles du filet

Autant les Araignées errantes sont capturées par un grand nombre de Pompiles répartis sur plusieurs genres (Cryptocheilus, Priocnemis, Dipogon, Agenioideus, Araschnospila,...) autant celles qui tissent des toiles orbitèles (Épeires) ne sont la proie exclusive que de deux genres seulement (Episyron, Caliadurgus) et de deux autres espèces (Cryptocheilus egregius Lep. et Batozonellus lacerticida Pall.). La toile découverte, le Pompile incite la propriétaire à fuir en voletant à quelques centimètres de l’endroit ou elle se trouve. La réaction est d’autant plus rapide que l’Épeire reconnaît le danger, s’enfuit et grimpe au sommet des plantes que l’Episyron, en bon voilier, ne manque pas d’explorer. Il décrit de la sorte d’amples circonvolutions en partant des abords de la toile dont il s’éloigne de plus en plus, mais pour y revenir de temps en temps contrôler que l’Araignée n’est pas revenue.
Puisque nous en sommes aux Pompiles prédateurs d’Araignées tisseuses de toiles, restons avec l’un d’entre eux, Agenioideus ciliatus Lep., fort rare et dont la proie, Lithyphantes albomaculatus Deg., tisse, au niveau du sol, un piège fait d’un réseau de fils entrecroisés irrégulièrement.
Le Pompile s’enfonce dans ce lacis de fils parmi lesquels il progresse tant bien que mal vers sa proie. Celle-ci recule tout en faisant face à l’Hyménoptère qui, sur le point de la rejoindre, préfère sortir de la toile pour s’assurer que l’Araignée n’a pas fui. La Lithyphantes à force de reculer, finit par être acculée au bord de la toile qu’elle abandonne. Le Pompile est ainsi arrivé à ses fins et il ne lui reste plus qu’à entreprendre des recherches afin de repérer puis de capturer sa proie... quand il la retrouve. En effet, la fuite peut avoir lieu, comme je l’ai constaté, alors que la guêpe se trouve au milieu de la toile ; il lui faut plusieurs secondes pour s’extirper de celle-ci et ce délai permet parfois à l’Araignée de se cacher à bonne distance.
Les Segestria, Tegenaria et autres Textris sont les proies des Agenioideus apicalis VDL et A. usurarius Tourn. tandis que les Coelotes ont la préférence de Priocnemis schioedtei HPT. Pour tous ces Pompiles, la tactique de chasse reste la même, du fait qu’elle s’adresse à des Araignées dont le type de toile présente des affinités entre elles, à savoir : tubiformes ou nappidiformes.
Directement ou après quelques hésitations, comme pour ne pas effaroucher l’Aranéide, le Pompile déambule sur la toile avec aisance en direction de l’entonnoir provoquant la fuite de la propriétaire. Une seule fois, j’ai observé l’un d’entre eux, Cryptocheilus notatus Ross, parvenir à paralyser sa proie, Coelotes sp., au fond de son repaire. La capture se fait donc généralement à l’extérieur après une poursuite plus ou moins longue, selon le degré de vélocité de l’Araignée ! D’ailleurs cette tactique de chasse s’apparente à celle décrite plus haut à propos des Araignées errantes puisqu’en fin de compte toutes les péripéties de l’action, basées surtout sur la course, ont lieu en dehors de la toile.

Paralysie à domicile

Plusieurs espèces de Pompiles sont prédateurs d’Araignées terricoles, lesquelles peuvent être réparties en deux groupes. L’un comprend les araignées vivant dans un terrier muni d’un opercule de soie mêlée de terre, posé sur l’ouverture (Nemesia mandersjernae Auss., N. badia Auss.,...). Le second regroupe des araignées dont le terrier est clos par un opercule épais, biseauté, et si parfaitement appliqué sur l’ouverture qu’il est pratiquement impossible de le repérer (Nemesia carminans Latr.).
Une fois l’entrée du repaire de la Némésie découverte, le Pompile dégage le bord de l’opercule ou le perce lorsque celui-ci est mince, avant de se glisser à l’intérieur du conduit ou il va paralyser l’Araignée. Soyer note de son côté que l’Hyménoptère parvient également à l’Araignée en creusant un couloir qui débouche latéralement sur celui de la Némésie.
Le terrier (selon l’espèce de Némésie et l’époque de l’année) comporte parfois deux ouvertures, ce qui oblige le Pompile à user d’une méthode différente qui a été si bien décrite par Ferton : la guêpe se présente à l’une des entrées et fait mine de pénétrer ou bien introduit son abdomen à l’intérieur pour en sortir aussitôt les ailes vibrantes, la tête dirigée vers la seconde ouverture par où la Némésie pourrait s’enfuir. En cas d’insuccès, la même manœuvre se répète, avec des variantes, à l’une ou l’autre des entrées jusqu’à ce que l’Araignée sorte. Si, à ce moment là, le Pompile est en bonne position, l’Araignée est paralysée en pleine course à quelques centimètres du nid. Mais il arrive que celle-ci parvienne aussi à s’échapper, tandis que son ennemi fouille l’intérieur du terrier. Les Entomobora sont plus spécialisés dans la capture des Némésies de la seconde catégorie. Ainsi qu’il est mentionné plus haut, l’opercule clôturant le terrier est épais et bisauté d’ou une méthode sensiblement différente. Le Pompile déblaie le pourtour du tampon à l’aide des mandibules et introduit son cIypeus, qui est particulièrement mince, entre l’opercule et le bord du terrier en un point qui se trouve à l’opposé de la charnière. L’insecte est alors disposé au-dessus du terrier et il ne lui reste plus qu’à pousser en avant, prenant appui sur son abdomen distendu piqué dans le sol. Les pattes postérieures peuvent participer à la manœuvre durant cette opération. Celle-ci dure quinze minutes et peut aller jusqu’à une heure. Dans ce dernier cas, il s’agit très souvent d’un terrier abritant une mère et sa progéniture muni non pas d’un seul mais de deux opercules. Les Pompiles du premier groupe se heurtent parfois à ce genre d’obstacle qui peut les rebuter de façon définitive.


Les Ceropalinae sont de véritables parasites. Redoublant d’attention lorsqu’un Pompile vient de capturer sa proie, ils profitent généralement du moment où celui-ci l’abandonne provisoirement, pour pondre un œuf dans l’orifice respiratoire de l’Araignée paralysée. (Cliché E. Gros)

Les Pompiles coucous

Les Ceropalinae sont des Pompiles qui se comportent comme des brigands de grand chemin. Ils redoublent d’attention dès qu’un Pompile est sur la trace d’une Araignée et suivent celui-ci à distance, leurs courtes antennes dirigées en avant, surveillant toutes les péripéties de l’action. Généralement, ils profitent de ce que la guêpe abandonne provisoirement sa proie (reconnaissance du chemin à suivre, recherche de l’emplacement du nid, etc.) pour venir pondre rapidement un œuf dans l’orifice respiratoire de l’Araignée paralysée. Le Pompile tente bien de le chasser, mais le Ceropales, resté dans les parages, n’abandonne pas tant qu’il n’a pas réussi, sinon tenté son mauvais coup.
L’œuf du Ceropales éclôt plus rapidement de sorte que sa larve mange l’œuf du Pompile avant de dévorer l’Araignée.

Voilà, passées en revue, différentes techniques de chasse et, sans doute, y en a-t-il bien d’autres à découvrir tant il reste de Pompilidae dont la biologie est inconnue. L’élevage en captivité se révélant souvent impossible, tout doit se faire sur le terrain en contact direct avec la nature, d’ou la difficulté d’observation. La découverte d’un aspect de la biologie récompense cependant les longues heures d’observation de celui qui se penche sur les divers aspects de l’instinct si remarquable des Hyménoptères prédateurs.


Une tactique de chasse basée sur la ruse

Cette petite espèce, fort rare, Arachnospila conjungens Kohl, possède une méthode de chasse pour capturer sa proie que je ne connais chez aucun autre Pompilidae. En effet, contrairement à la majorité des Pompiles prédateurs d’araignées tisseuses de toiles tubiformes et nappidiformes dont la capture se fait à l’extérieur, l’Arachnospila procède tout en finesse. La proie, Amaurobius erberi Keyserling, vit sur une petite toile qui s’étale parmi les feuilles mortes autour de la retraite en forme de tube. La soie, légèrement bleutée, cribellée, est plus apte qu’aucune autre à retenir les insectes, d’où peut-être la manière de procéder du Pompile.
L’Hyménoptère s’approche doucement jusqu’à la lisière de la toile sans jamais s’engager dessus et, saisissant quelques fils entre les mandibules, il les tiraille par à-coups. L’Araignée, alertée par ce manège, sort précipitamment de sa retraite et se dirige droit sur son ennemi qui, en un instant, s’en saisit et la paralyse sur place. Parfois ce sont deux femelles d’A. erberi qui effectuent cette manœuvre, chacune de son côté. Quelquefois, l’Araignée, ayant deviné la supercherie, fait mine de sortir avant de réintégrer ses pénates. Si la toile est particulièrement petite, il peut arriver, ainsi que je l’ai observé une fois, que l’Amaurobius se fasse saisir au moment où elle se présente sur le seuil de son repaire, le Pompile n’étant alors qu’à 15 mm de sa proie. La rapidité de la proie est telle que parfois elle a le temps de faire l’aller et retour sans que le Pompile ait pu réagir. De toute façon, quelle que soit l’issue, l’Hyménoptère n’insiste pas plus d’une trentaine de secondes car, passé ce laps de temps, sa méthode basée sur l’effet de surprise n’aurait plus le résultat escompté. Il répète plus loin le même manège tant les toiles d’Amaurobius abondent dans ces biotopes.

Arachnospila conjungens Kohl est l’un des rares Pompilides à nidifier dans le bois mort (chêne vert notamment). Ici on le voit traînant sa proie paralysée, Amaurobius erberi Keys.
Cliché E. Gros


Edgar Gros, Insectes  n° 84, 4-6

Quelques mots d’explication

Cribellée : se dit de la soie de certaines Araignées (Cribelletes) qui ont un cribellum (plaque situé au niveau des filières antérieures). Cette soie est "peignée" par le calamis¬trum (petits crins courbes sur la face dorsale de la quatrième paire de pattes) au fur et à mesure de son émission.

Errantes : Araignées qui capturent leurs proies, soit à la course (Lyeosidae, Saltiei¬dee), soit à l’affût (Thomisidae), sans l’aide d’aucun piège soyeux.

Irrégulières: toiles formées de fils tissés en tous sens au niveau du sol ou dans la végétation (Theridiidae).

Nappidiformes : toiles en forme de nappe plus ou moins étendue avec une retraite tubulaire (Agejenidae).

Orbiteles : toiles géométriques des Epei¬res (Araneidae).

Tubiformes : toiles faites d’un tube de soie qui s’évase plus ou moins en s’étalant à l’extérieur (Segestriidae).

Terricoles : Araignées vivant dans un terrier creusé par elles (Ctenizidae).



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