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Miscellanées

L’Asticot

 

Pauvre poète,
à cette fête,
Puisqu'en vers je dois mon écot,
Dussé-je ici manquer d'écho,
Je vais vous chanter l'asticot.

Tout ce qui vit dans la nature
Est d'un grand intérêt pour moi ;
Et ce mot donné, je vous jure,
Loin de me causer quelque effroi,
Me séduit, et voici pourquoi :
Mon esprit, qui souvent sommeille,
Quand il n'est pas surexcité
Par un sujet qui le réveille,
A besoin d'être asticoté.

Pauvre poète, etc.

Il n'a jamais connu sa mère,
Le pauvre petit malheureux !
Car, marâtre autant que légère,
La mouche, en déposant ses oeufs,
Prend son vol et s'éloigne d'eux !
Quand nous le voyons se produire
Sur des biftecks peu délicats,
Aux amateurs il semble dire :
Regardez, mais n'y touchez pas.

Pauvre poète, etc.

 

C'est à ses œuvres qu'on le juge;
Comme jamais il n'a nui,
Ni vétiver, ni vermifuge,
Dont on fait usage aujourd'hui,
Ne sont employés contre lui.
Mais comme les meilleures choses
N'ont pas le don de le toucher,
C'est ailleurs que parmi les roses
Que l'on doit aller le chercher....

Pauvre poète, etc.

Lorsque le ver luisant projette
Des clartés qui n'éclairent rien,
Du pêcheur et de la guinguette
L'asticot se fait le soutien,
Et suffit à leur entretien.
Pour lui c'est une rude épreuve,
Car on sait très-pertinemment
Que lorsqu'il plonge dans un fleuve,
Ce n'est pas pour son agrément.

Pauvre poète, etc.

Si l'homme lui sert de pitance,
C'est quand l'âme a quitté le corps.
Seul il n'a pas grande puissance;
Mais, avec de nombreux renforts,
Il galvaniserait des morts.
Bien qu'ils soient tous des moins ingambes,
On les a vus, dans bien des cas,
Déplacer et donner des jambes
à des objets qui n'en ont pas.

Pauvre poète, etc.

 

Quand nous mangeons une friture,
Plaignons, messieurs, son triste sort;
Car, pour en faire sa pâture,
C'est sur lui que le poisson mord,
Et lui cause le plus grand tort.
Comme celui-ci s'en régale,
Nous pouvons conclure de là,
Que par goujon que l'on avale,
C'est un asticot qui s'en va !...

Pauvre poète, etc.

Il a l'humeur douce et tranquille,
Et, bien qu'il soit fort innocent,
On l'évite comme un reptile,
Et c'est toujours en grimaçant
Qu'on le foule aux pieds en passant.
Avec une vie aussi triste,
Nous pouvons bien en convenir,
L'être le moins socialiste
Finirait par le devenir.

Pauvre poëte, etc.

Cet insecte, quoi que je dise,
Offrira toujours peu d'appas,
Et comme objet de convoitise,
Messieurs, je ne m'attendais pas
à le servir à ce repas.
Mais grâce à votre accueil aimable,
J'emporte l'espoir consolant
Qu'on peut chanter un ver semblable
Sans cesser d'être un vert galant.

Pauvre poète,

à cette fête,
Puisqu'en
vers je dois mon écot,
En dépit de son peu d'écho,
Prenez, messieurs, mon asticot.

 

Par Eugène Désaugiers (1804-1871).


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