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LES RECHERCHES SUR LYMANTRIA DISPAR AU MAROC: HISTORIQUE ET PROGRAMMES ACTUELS

A. FRAVAL


Encadré : En 1919...


Les travaux de recherche et d'expérimentation consacrés à L. dispar au Maroc sont très nombreux, d'ambitions et d'importance diverses. On s'attache, dans cette présentation, à citer tous ceux qui peuvent présenter un intérêt. Ils sont très nettement regroupés en deux époques. La première, au début du siècle, est dominée par l'oeuvre de J. DE LEPINEY (de L'Institut Scientifique Chérifien). La seconde série de travaux, venant après un intervalle de 40 ans, a pour cadre principal l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (A. FRAVAL et ses collaborateurs). Elle n'est pas achevée. Pour plus de clareté, elle est présentée en deux parties, les programmes en cours étant traités à part.

1. Première époque

CHAINE (1919) signale le premier la présence et les dégâts de Lymantria dispar -qu'il nomme à tort Cnethocampa processionea (DUP.)- en forêt de la Mamora (cf. encadré ci-après). VAYSSIERE (1919, in DE LEPINEY, 1930) puis SCHINDLER (1921; 1923; 1924) rectifient la détermination en Liparis dispar. Puis l'insecte est signalé par LE CERF et TALBOT (1928) sous le nom de Porthetria dispar.

En 1926, J. DE LEPINEY se voit attribuer la charge "de renseigner la Direction des Eaux et Forêts du Maroc sur l'insecte, qui causait des déprédations assez graves et surtout très apparentes dans les forêts de chêne-liège voisines de Rabat et d'entreprendre la lutte biologique pour laquelle des pourparlers avaient déjà été engagés avec le Gypsy Moth Laboratory de l'United States Department of Agriculture en vue de l'acclimatation d'un parasite japonais des oeufs, le Schedius kuvanae" (DE LEPINEY, 1930). En sus de ce vaste programme, mené à bien, sont étudiés les facteurs régissant la dynamique des populations de L. dispar et est analysée la vision des chenilles(DE LEPINEY, 1927; 1928a; b; 1929; 1930; 1933). Simultanément FERRIERE (1927) recense les parasites et hyperparasites du ravageur.

L. dispar est cité par JOURDAN (1935) et par RUNGS (1935). Suit une longue période sans travaux de recherche. A noter toutefois l'exécution d'un traitement au D.D.T. en 1957 (FRAVAL, 1982) et, surtout, la poursuitede la cartographie annuelle des défoliations en forêt de la Mamora, initiée par DE LEPINEY (FRAVAL et HERARD, 1975; EL YOUSFI, 1980).

2. Seconde époque

Ce n'est qu'à la fin de 1972 que les travaux reprennent, dans le cadre du "PROGRAMME LYMANTRIA DISPAR" mené au Laboratoire de Zoologie de l'Institut Agronomique Hassan II, qui a pour but la collecte des parasites et prédateurs du Bombyx disparate aux fins de lutte biologique outre-Atlantique (FRAVAL et HERARD, 1975; HERARD et FRAVAL, 1980).

La répartition géographique de L. dispar est précisée (FRAVAL et al., 1975) et ses relations trophiques avec le Chêne-liège analysées au travers de multiples élevages au laboratoire (HERARD, 1984). L'attraction visuelle de l'arbre vis-à-vis des chenilles ainsi que l'évaluation des différences entre les L. dispar de la yeuseraie et ceux de la subéraie font l'objet de travaux distincts (HERARD, non publ.).

En 1975 et 1976, sont essayés des agents de lutte nouveaux: un analogue de l'hormone juvénile des inèsectes-qui s'est révélé peu sûr- (VILAND, 1978; FRAVAL, 1982), 2 préparations à base de la bactérie Bacillus thuringiensis (BERL.) et un insecticide larvicide, le Diflubenzuron (FRAVAL et al., 1977a; FRAVAL et al., 1977b). Ces essais, faits en collaboration avec le Laboratoire d'Entomologie de la Station de Recherches Forestières (P. QUESTIENNE), ont révélé des produits non écotoxiques, très efficaces s'ils sont bien appliqués; ils sont désormais employés couramment dans la lutte en forêt (cf. chap. V).

Dans le but de perfectionner les techniques de dénombrement, QUESTIENNE et FRAVAL (1977) analysent les pontes de L.dispar d'un arbre, tandis que FRAVAL et al. (1978) étudient la répartition des pontes sur tous les arbres d'une zone de 5 ha.

A. FRAVAL, M. JARRY et P. QUESTIENNE, en 1976, installent dans le nord du canton B de la Mamora un dispositifexpérimental en transect de 7 km de long (dit "le Transect") destiné à suivre les fluctuations des populationsdu défoliateur et à en élucider les causes, en examinant particulièrement le parasitisme et l'évolution du feuillage du Chêne-liège (cf. ann. C).

Les travaux -relatifs à L. dispar- réalisés sur le Transect, ou sur des dispositifs-fils (FRAVAL, 1983), s'échelonnent jusqu'en 1983. Ce sont, cités dans l'ordre de leur succession sur le terrain, ceux de FRAVAL et al. (1980): présentation détaillée de l'évolution des effectifs de dispar, de l'impact des antagonistes, de la phénologie du chêne-liège, des défoliations , en 1976, 1977 et 1978, MAZIH (1978) et FRAVAL et MAZIH (1980): analyse des facteurs de mortalité, BENLAHBOUB-JAZOULI (1978) et FRAVAL et BENLAHBOUB-JAZOULI (1984): étude d'une population en lisière de forêt et à la dynamique particulière, ZAIMI (1979), SAIDI (1980), CHAKIR (1981), BASTAOUI (1983), CHAKIR (1982 et 1983, non publ.): description de la situation de l'insecte et de l'arbre-hôte.

Une tentative de mettre en relation les défoliations et les déficits d'accroissement de liège est menée par CHEMAOU-EL-FIHRI (1982), sur la base de l'histoire individuelle des arbres du Transect, pour préciser les bases économiques de la décision de lutte, précédemment calculées par QUESTIENNE (1976).

CHAKIR et FRAVAL (1985) présentent une synthèse des observations faites sur les ennemis de L. dispar, tandis que FRAVAL (1984, 1986a) analyse les interactions insecte/arbre, principal facteur de la dynamique des populations du ravageur.

Un second très important dispositif d'étude, installé en 1978 par P. QUESTIENNE et A. FRAVAL, consiste en un réseau de 207 stations de 10 arbres (le "Réseau"), réparties sur les 20 000 ha du canton A de la forêt de la Mamora. Il est destiné à la surveillance et à la prévision à court terme (dans un premier temps) des pullulations de L. dispar (FRAVAL, 1983). Les données recueillies sont analysées essentiellement à partir de cartographies; se succèdent les rapportsde QUESTIENNE et FRAVAL (1978, non publ.), LHALOUI (1980) repris et complétés par FRAVAL et LHALOUI (1980), HAMDAOUI (1981), MGHARI (1983). Cette dernière, avec D. ESPERANDIEU, est l'auteur d'une première tentative de gestion informatisée du "réseau".

Parallèlement, FARAH (1980) tente de relier, pour l'ensemble des parcelles de la forêt de la Mamora, l'histoire des défoliations avec l'évolution des arbres et avec les fluctuations du climat. Les observations régulières sur ces deux dispositifs majeurs, "Transect" et "Réseau" cessent à partir de 1983. Dans toute l'étendue de la subéraie atlantique, la rétrogradation s'achève et le Bombyx disparate entre dans une longue phase de latence. A côté des travaux de démécologie recensés ci-dessus, plusieurs aspects de la biologie de L. dispar font l'objet de recherches et d'expérimentations.

SAIDI (1980), MABSOUTE (1981), DAHOU (1984) précisent par des élevages in situ et des obsevations le rôle de l'état de l'arbre sur la qualité de l'alimentation offerte à l'insecte, confirmant que les chênes-lièges déficients lui sont favorables, tandis que CHAABOUN (1983) tente de mesurer les propriétés physiques et chimiques de la feuille de Q. suber.

SAMMAH (1982), avec R. BONNET, observe le comportement et mesure les performances de chenilles soumises à des conditions hostiles (pluie et chergui) reconstituées au laboratoire.

Les déplacements actifs et passifs des écophases successives de L. dispar sont étudiés, en conditions naturelles et artificielles (EL YOUSFI, 1980; FRAVAL et EL YOUSFI, 1987, 1989).

Le parasite japonais des oeufs (introduit par DE LEPINEY), Ooencyrtus kuvanae (HOW.) voit sa bionomie précisée pa deux études de laboratoire, l'une au Maroc (BENAZOUN, 1978; BENAZOUN et FRAVAL, 1983), l'autre en France (HERARD et MECADIER, 1980) tandis que sa répartition inter- et intra-arbre est décrite par HERARD (1978; 1979) et par MAZIH (1980).

L'évaluation d'agents de lutte se pousuit. Le Baculovirus de L. dispar, importé de Roumanie via l'I.N.R.A (La Minière), est épandu sur 20 ha en forêt de la Mamora, dans les buts de détruire les chenilles et d'introduire un antagoniste efficace dans d'autres pays (MAZIH, 1979; SAIDI, 198O; CHAKIR, 1981; FRAVAL et al., 1981a). Le pouvoir antiappêtant d'extraits simples de l'arbre Melia azedarach est évalué sur le terrain par SAREHANE (1981), avec F. LAURENT, et au laboratoire par ABIDI (1980) puis surtout par EL OUARTASSI (1982), avec B. PERTHUIS. BOUKHATEM (1984) se propose d'examiner une pratique empirique de certains riverains de la subéraie, le badigeonnagedes troncs avec un herbicide (répulsif). Des applications de B. thuringiensis sont faites en Mamora et dans une subéraie du Pré-Rif (Bou-Hani), parallèlement à la description des populations (HANNAK, 1986; FRAVAL et HANNAK, 1986; AMMEJOUD, non publ.).

Les possibilités de la coprométrie, méthode indirecte de suivi de l'activité alimentaire et de détection des effets d'un traitement par B. thuringiensis sont évaluées (ALAMI-KASSIMI ,1986; FRAVAL, 1987a).

Enfin, des techniques et des matériels originaux ont été mis au point dans le cadre de ces travaux (FRAVAL et al., 1981b; FRAVAL et PERTHUIS, 1984).

La fig. 4 localise les principaux dispositifs expérimentaux.

Figure 4: Principaux dispositifs expérimentaux d'étude de Lymantria dispar
La carte représente la partie occidentale de la subéraie de la Mamora.
1: Oulad-Mlik. Lieux des essais de traitement de 1975 et 1976 (FRAVAL et al., 1977a et b) et Transect (FRAVAL et al., 1980); 2: El Menzeh. Expériences de SAIDI (1981), MABSOUTE (1982), DAHHOU (1984). 3: application de virusine (MAZIH, 1979); 4: El Hanchat (FRAVAL et al., 1989).
Le Canton A héberge le Réseau (FRAVAL et LHALOUI, 1980; RAMZI, 1987) (cf. ann. C).

3. Travaux en cours

Parmi les études en cours, une première série porte sur les dispositifs de terrain installés depuis 1976-1978.

Les données recueillies sur le "transect" de 1976 à 1982 ont été analysées à la main dans un premier temps (FRAVAL et al., 1980; FRAVAL, 1984, FRAVAL, 1986b). Leur nombre et leur complexité imposent la création d'une base de données et des traitements informatisés, qui se font par étapes (MAKHOUKH, 1986; FRAVAL, 1987b; CHORFI, 1987; FRAVAL et MAKHOUKH, 1988).

Le suivi du "réseau" (canton A de la Mamora) a repris avec RAMZI (1987; 1988, non publ.) et se poursuit avec KASSIM (1988); les stations sont plus nombreuses, les relevés portent également sur l'environnement de L. dispar; la gestion des données est informatisée (FRAVAL, 1987b).

Lors des prospections réalisées à cette occasion, un "foyer" (pullulation localisée) est découvert (à El Hanchat, près de Kénitra); il est décrit avec le souci de faire ressortir les structures spatiales dans l'ensemble des pontes de la zone de 4 ha (FRAVAL et al., 1989; VILLEMANT et al., 1989). AKHAKHAS (en cours) étudie la distributionspatiale de la fécondité de L. dispar sur plusieurs sites, avec plusieurs méthodes d'évaluation indirectes.

S'appuyant sur une partie du "Réseau" (et reprenant en celà un premier travail de ZAIMI (1979) et de J.P. DI-PIETRO) ainsi que sur le dispositif d'El Hanchat, C. VILLEMANT procède à un réexamen de l'inventaire, des niches écologiques, des particularités éthologiques, des impacts des éléments de la guilde des prédateurs-démanteleursdes pontes. Ceci permettra, notamment, d'évaluer les possibilités de favoriser ces entomophages pour réduire les populations de L. dispar. Parallèlement, R. ZEMMOURI précise au laboratoire la bionomie des Dermestidaeles plus intéresssants.

Les étapes du développement embryonnaire de L. dispar sont repérées et cataloguées par SEMLALI (1986); le développement de diapause et l'effet de substances antiappêtantes (extraits de M. azedarach) sont étudiés par KADIRI, FRAVAL et SEMLALI (travaux en cours).

Enfin, l'examen des conséquences sur la survie, la fécondité et la fertilité de l'exposition (au laboratoire)des chrysalides, femelles et oeufs en phase de développement embryonnaire à des températures élevées (BOUR, FRAVAL, KADIRI, en cours) doit permettre de mesurer les conséquences -jusque là controversées- d'un "coup de chergui". Dans cette même optique, une nouvelle analyse des éventuels effets de conditions climatiques extrèmes est en cours (FRAVAL, VILLEMANT, BOUR, RAMZI, CHADIGAN).

Le programme de caractérisation des races (ou écotypes) de L. dispar, entrepris par L. SAMI, à la suite des travaux de HERARD (1975, non publ.) et de GEORGE (1982), est momentanément interrompu.

La phase actuelle des recherches sur le Bombyx disparate est marquée d'une part par l'emploi de techniquesperfectionnées de gestion et d'analyse des données (anciennes et nouvelles), d'autre part par des investigations plus poussées que naguère sur quelques facteurs de la dynamique des populations de l'insecte, ceci et celà pour une compréhension suffisante des mécanismes déterminant les pullulations. Les observations de ces toutes dernières années ont révélé cependant un nouveau régime de régulation, avec une faune antagoniste enrichie.

[...]


[R] Encadré
EN 1919...

Malheureusement la Mamora a un terrible ennemi, la Processionnaire du Chêne [...] qui y produit d'énormes ravages.

En juin 1918, vers le 20, traversant la forêt pour aller par le train de Rabat à Fez, je fus à même de constater les immenses dommages que cette chenille cause aux chênes- lièges. Sur plus de cinq kilomètres le long de la voie et, au dire d'un voyageur qui connaissait la région, sur une profondeur de dix kilomètres environ, ces arbres étaient complètement dénudés, aucune feuille ne persistait; ils tendaient lamentablement leurs branches squelettiques, semblables qu'ils étaient à nos arbres à feuilles caduques pendant l'hiver. Aucun n'avait échappé à l'invasion; seul, de loin en loin, un poirier sauvage était encore muni de son feuillage et formait une tache verte sur le ton grisâtre du fond. Ces poiriers même, par leur présence, augmentaient encore la tristesse du décor par suite du contraste, au lieu de l'atténuer comme on aurait pu le penser tout d'abord.

L'aspect de ce vaste espace désolé, sans vie végétale ou à peu près, la présence de ces nombreux squelettes d'arbres, avaient quelque chose de poignant et produisaient une pénible impression de tristesse également ressentie par tous ceux qui, comme moi, voyaient ce spactacle pour la première fois.

Toute l'étendue dénudée en juin fut envahie en l'espace d'une quinzaine de jours au maximum; journellement on voyait la tache s'étendre et la dévastation devenir de plus en plus profonde. Jusqu'ici on n'a rien fait pour combattre le fléau.

extrait de CHAINE (1919)


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