Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes  


Vers le sommaire de l'ouvrage. Vers la page Lymantria dispar.

DEGATS ET NUISANCES.

A. FRAVAL

Au Maroc comme dans les pays voisins, le Bombyx disparate provoque, de façon plus ou moins cyclique, la défoliation de très grandes étendues de chênaies (cf. chap. V). Le phénomène -particulièrement dans nos peuplements purs de Chêne-liège- est réellement impressionnant (cf. encadré du chap. II) et gênant pour les riverains de la forêt mais il dure peu: 2 à 3 semaines plus tard tous arbres débourrent de nouveau et il n'y paraît plus. La répétition des défoliations, inquiétante a priori pour la survie des arbres (DE LEPINEY, 1930), ne provoque en fait aucune mortalité (BOUDY, 1950; FRAVAL et al., 1975; RABASSE et BABAULT, 1975). Peut-on dire que Lymantria dispar est surtout un ravageur spectaculaire, aux nuisances réelles mais limitées?

1. Effets sur le Chêne-liège

L'action trophique des chenilles se traduit par la réduction, puis souvent par l'anéantissement des fonctions exercées par les feuilles, la photosynthèse notamment. Les organes de reproduction sont consommés. La refeuillaison mobilise -à contre-saison- des réserves. L'approvisionnement de la litière est perturbé (GRACE, 1986). L'ensemble concourt à affaiblir l'arbre qui ne récupère qu'au bout de 3 ou 4 ans (LUCIANO et al., 1982); cette perte de vigueur le rend plus sensible aux champignons et insectes xylophages secondaires et aura des conséquences graves (mort de certains sujets) si elle coïncide avec une période de sécheresse ou bien avec des interventions sylvicoles traumatisantes, démasclage et déliégeage. De toutes façons la production en bois et en liège, ainsi que la glandée sont affectées.

Plusieurs travaux ont été consacrés à l'évaluation de l'impact de L. dispar sur les produits la chênaie. Ils révèlent qu'une défoliation fait perdre de 40 à 100% de l'accroissement en bois de l'année (CAMBINI, 1975; MAGNOLER et CAMBINI, 1968; FRATIAN, 1978; ANDROIC, 1978; LUCIANO et al., 1982). De telles pertes justifient les traitements dans les chênaies d'Europe Balkanique.

Au niveau du liège, les défoliations de L. dispar provoquent des pertes qualitatives (couche sèche inélastique) et quantitatives (GRISON, 1973). BOUDY (1950) avance (sans indiquer comment sont obtenus ces chiffres) que 3 années de défoliations consécutives provoquent une réduction de 12% de la quantité de liège récolté au bout de 12 ans, de 16% pour du liège de 9 ans. LUCIANO et al. (loc. cit.) indiquent une perte de 60% pour l'année de la défoliation, de 32% pour la suivante. CHEMAOU EL FIHRI (1982), travaillant sur notre dispositif en transect (cf. annexe C), s'était proposé de comparer les schémas d'accroissement du liège d'arbres d'âges et de conditions divers et ayant subi des séries de défoliations différentes, bien connues; il s'est heurté à la difficulté d’échantillonner correctement les accroissements de liège, mâle surtout: il a pu cependant estimer à 1 mm en moyenne le déficit d'épaisseur provoqué par une défoliation totale.

Ces estimations quantitatives des dégâts de L. dispar sont à examiner en fonction du contexte économique. Au Maroc, le bois de Chêne-liège n'a aucun usage noble: en conséquence les pertes provoquées à ce niveau par le ravageur sont insignifiantes (QUESTIENNE et FRAVAL, 1979). L'impact sur le liège dépend du prix de ce matériau, très fluctuant avec la qualité (généralement mauvaise dans les subéraies atlantiques) et, surtout, avec la demande (dépendant du marché international). QUESTIENNE (1976) a établi les bases économiques d'une lutte contre le ravageur prenant en considération les pertes de liège; les données seraient à actualiser.

La glandée est supprimée par la défoliation (QUESTIENNE et FRAVAL, loc. cit.; RABASSE et BABAULT, 1975; ROMANYK, non réf.; CHORFI, 1987), ce qui entraîne, ainsi que le signalait déjà DE LEPINEY (1930), des pertes économiques bien plus importantes que celles relatives au liège. Le Chêne-liège produit des glands doux. Ils sont très utilisés en Espagne pour la fabrication d'huile et l'alimentation de porcs d'élevage; la production escomptée est de 700 à 1 000 kg/ha/an (ROMANYK, non réf.). L'impact des défoliations sur la glandée justifie à lui seul les traitements.

En Mamora, de tels élevages on disparu et les glands, relativement savoureux, sont gaulés pour la consommation humaine. Ils sont vendus (illégalement) le long des routes et jusque sur des souks lointains, au prix de 4 à 5 DH le kg. La production moyenne, pour laquelle on ne dispose d'aucune mesure précise - à notre connaissance-, est très vraisemblablement de l'ordre de 4 à 600 kg/ha/an (P. GRAF, comm. pers.). Les récolteurs (riverains de la forêt) en tirent un "bénéfice" de l'ordre de 1 000 DH/ha/an (avec de très fortes variations), du même ordre de grandeur que celui qu'ils recueillent de l'élevage sur parcours. Ceci est à comparer au revenu moyen tiré (par les Communes) du liège: 3 à 400 DH/ha/an (sur la base de 1/5 à 1/7 de st/arbre, rotation de 9 ans, liège de reproduction en planches); calculé sur la base du nouveau prix du liège (1989), le revenu est le quadruple (M. BOUCHFRA, comm. pers.).

En raréfiant les glands, les défoliations diminuent les ressources des riverains et perturbent d'autre part les efforts de régénération du Chêne-liège entrepris par les Services Forestiers (QUESTIENNE et FRAVAL, 1979; M. BOUCHFRA, comm. pers.). L'absence quasi totale de renouvellement du parc d'arbres, jusqu'à ces derniers temps, a fait que l'on a craint la disparition à terme de certaines subéraies (comme la Mamora). La responsabilité de L. dispar apparaît toutefois très faible face aux autres facteurs (surexploitation pastorale surtout).

2. Nuisances

En cas de surpopulation, L. dispar provoque localement des dégâts sur les pépinières et les plantations forestières, sur les arbres fruitiers et cultures avoisinantes (cf. tabl. VI, chap. IV); ces déprédations n'ont jamais été évaluées. Parmi les arbres forestiers, on a noté des mortalités d'Eucalyptus camaldulensis (DEHN.), ainsi que de Pinus radiata (DON), les P. canariensis (SM.) et P. pinaster (SOLAND) s'étant montrés résistants (QUESTIENNE, 1976).

Les défoliations perturbent les activités humaines liées à la forêt. Ces nuisances, dans nos conditions, n'ont jamais été évaluées en termes de monnaie et n'ont fait l'objet que de signalisations.

Les riverains voient leurs cabanes et les puits envahis par des chenilles. Le fonctionnement de certains établissements installés à proximité immédiate de la forêt peut être gravement perturbé; ainsi l'hôpital de Kénitra en 1974 et 1975. Les pâturages, privés d'ombre, se dessèchent très vite, augmentant le préjudice causé aux riverains. L'inflammabilité du sous-bois augmente dangereusement (GRISON, 1973). L'exploitation du liège doit (en principe...) être annulée en année de défoliation.

La forêt prend une allure sinistrée et perd tout attrait touristique. Les chenilles, non urticantes, sont désagréables au toucher et leurs chutes incessantes, leurs tentatives d'escalade, font fuir rapidement l’observateur. Cet aspect n'est actuellement guère préoccupant au Maroc où peu de personnes ont l'habitude d'aller se promener ou se reposer en forêt. Il constitue en France (MARTOURET et EMMONOT, 1975), aux U.S.A. et au Canada, le motif essentiel des opérations de lutte entreprises.

Les conséquences écologiques (à long terme) des attaques de L. dispar sont importantes dans les peuplements mixtes d'Europe Balkanique (ANDRODIC, 1978) et des U.S.A. (CAMPBELL, 1974; 1979; HERRICK, 1981; LECHOWICZ et JOBIN, 1983; STALTER et SERAO, 1983; VALENTINE et HOUSTON, 1984): les espèces les plus sensibles au défoliateur laissent la place à d'autres, moins intéressantes.

3. Justification de la lutte

Dans les conditions des subéraies atlantiques marocaines, la nuisibilité immédiate de L. dispar apparaît relativement faible et limitée à la perte des glands et d'une part mal déterminée de la récolte de liège, et aux nuisances infligées aux riverains (voire aux "touristes"), intenses mais rares et de courte durée. Les arbres défeuillés ne sont pas tués; selon toutes nos observations, ils ne sont pas particulièrement attaqués par les champignons ni par les insectes xylophages secondaires.

Les pertes et les nuisances sont difficiles à évaluer; les méthodes, examinées par DI-PIETRO et al. (1979), n'ont pu être appliquées et les décisions de lutte (cf. chap. VII) sont dictées par le souci d'empêcher la défoliation totale des Chênes-lièges (FRAVAL et LHALOUI, 1980; HAMDAOUI, 1981; FRAVAL, 1982), dont les conséquences indésirables sont bien connues de tous. L'emploi d'agents très peu agressifs pour l'environnement est une mesure très sage, insuffisante pour se garantir de toute conséquence néfaste du traitement. Nous avons souligné le risque de perpétuation de l'infestation en conséquence d'un traitement incomplet, réduisant la compétition intraspécifique (FRAVAL, 1984). Pour diverses raisons, les interventions ont été jusque là fort rares, au grand mécontentement des populations riveraines; leur déclenchement systématique par "précaution", favorisé par un coût relativement faible (équivalent à 50 kg de glands ou à 200 kg de liège au prix de 1989 par ha; cf. ci-dessus) est à proscrire absolument (cf. chap. V).

Les traitements doivent être limités au strict nécessaire et être appliqués surtout sur les "foyers" d'infestation détectés en début de gradation générale. Cette stratégie de lutte préventive, que GRISON (1973) préconisa pour la Corse, semble fort difficile à appliquer à temps.

La lutte curative, si elle n'a pu être évitée, doit être bien localisée. Une surveillance constante et précise est nécessaire pour délimiter les zones où l'effectif d’œufs viables laisse craindre une défoliation (FRAVAL et LHALOUI, 1980) et pour préciser les parties de forêt où cette défoliation provoquerait des nuisances insupportables ou bien, coïncidant avec d'autres agressions des arbres, les mettrait en danger. Les interventions larvicides ne doivent être déclenchées qu'une fois constatée l'absence de facteurs naturels de régression: persistance du feuillage ancien (FRAVAL et LHALOUI, loc. cit.), parasitoïdes des chenilles (FRAVAL et al., 1989). Les conséquences, souhaitées ou non, de l'intervention de lutte doivent être enregistrées.

Parmi tous les phénomènes qui affectent la subéraie, recensés récemment par EL YOUSFI (1984), le Bombyx disparate n'est certainement pas le plus dangereux. Une surveillance et une lutte raisonnée peuvent réduire son incidence, là où c'est nécessaire, et concourir au maintien dans le meilleur état possible d'un élément capital du patrimoine forestier.


[R] Vers le sommaire de l'ouvrage. Vers la page Lymantria dispar.