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LE COMPORTEMENT

A. FRAVAL

Tout au long de sa vie, de l'éclosion à la mort du papillon, un Bombyx disparate déploie plusieurs types d'activités, en liaison avec la quête et la prise de nourriture, la recherche d'abris et de sites de nymphose, la rencontre des sexes. Nous examinerons successivement trois écophases: la chenille nouveau-née, (non encore alimentée),la chenille "âgée" (de la fin du 1er stade à la chrysalidation), les papillons.

Le comportement de l'insecte sera décrit autant que possible à partir des études faites au Maroc (en subéraie atlantique); un large emprunt sera fait aux travaux réalisés par F. HERARD (Département de Zoologie de l'I.A.V. Hassan II, à Rabat) entre 1973 et 1975 et qu'il n'a pas, à ce jour, encore publiés.

1. Chenilles nouveau-nées

Cette écophase dure quelques jours, depuis l'éclosion jusqu'à la première prise de nourriture. Elle est marquée par une dispersion primaire, sur l'arbre à partir de la ponte, par une dispersion secondaire, vers d'autres arbres et par la détection de la nourriture favorable.

La dispersion primaireé se fait par une reptation ascendante des chenilles nouveau-nées, qui possèdent un géotropisme négatif et un phototropisme positif.

C'est le matin qu'ont lieu la plupart des éclosions (qui, pour une ponte, s'échelonnent sur quelques jours), comme les départs. Par des marquages, HERARD a montré que la moitié des chenilles nées un jour donné sur une ponte y stationnent durant 1 jour; 10 à 20% partent après 3 jours (HERARD, non publ.); les chenilles parcourentde 1 à 3,5 m. Compte-tenu de la répartition des pontes -sur Chêne-liège- (QUESTIENNE et FRAVAL, 1977; FRAVAL et al., 1978 FRAVAL et al., 1988), de telles performances suffisent pour accéder au feuillage. Les chenillesécloses de pontes situées ailleurs que sur le tronc ou tombées sur la litière sont par contre quasi-condamnées; le fait a été expérimentalement vérifié (HERARD, non publ.).

La dispersion secondaire, pour tous les auteurs, est la cause de l'expansion géographique de l'espèce (complétant le transport par l'Homme, beaucoup plus efficace pour les longues distances); à ce titre elle a été très étudiée aux U.S.A., et en Europe dans une moindre mesure (LEONARD 1971; VAN DER LINDE, 1971; CAPINERA et BARBOSA, 1976; CAMERON et al., 1979; BARBOSA et al., 1981; LANCE et BARBOSA, 1982; McMANUS et MASON, 1983; LUCIANO et PROTA, 1984; WESELOH, 1985a).

Les grands poils la chenille nouveau-née, associés au long (6 à 8 m) fil de soie extensible qu'elle est capable de filer constituent un aérophore; les chenilles sont ainsi véhiculées par le vent sur plusieurs dizaines ou centaines de m (CAMERON et al., loc. cit.); exceptionnellement sur une quarantaine de km (au dessus d'un plan d'eau). Les modalités et les conséquences gradologiques de ces émigrations sont controversées (cf. in FRAVAL et EL YOUSFI, 1987; 1989). Elles permettent la survie, dans des sites neufs -s'il s'en trouve-, de chenilles autrement condamnées par la surpopulation et/ou les modifications du milieu induites par la défoliation et à ce titre participent au maintien de l'infestation sur de vastes surfaces. Nous avons d'autre part montré l'existence d'un mécanisme particulier aux lisières (et aux crêtes), capable dans une certaine mesure, de créer des foyers d'infestation (FRAVAL et BENLAHBOUB-JAZOULI, 1984).

Les comportements des L. dispar de la subéraie marocaine, liés à cette dispersion secondaire sont connus surtout par les travaux de EL YOUSFI (1980). La dispersion est liée à la chute de la chenille de son support è(extrémité d'un rameau), laquelle s'accompagne ou pas du filage. Chutes et filage sont le lot de la quasi-totalité des chenilles en forts effectifs sur du feuillage incomestible. Un vent modéré (1m/s) est nécessaire mais non suffisant; par vent fort (3 m/s), les chenilles se mettent à l'abri. Un fil court (inf. à 1,5 m) peut être réescaladé.

Le devenir des chenilles émigrées n'est connu que dans des cas particuliers (FRAVAL et BENLAHBOUB-JAZOULI, 1984); il est très probable que la très grande majorité des chenilles périssent. En bordure de subéraie, certaines pourront pousuivre leur développement sur divers arbres et plantes basses (tabl. VI).

Les chenilles choisissent leur nourriture. Au terme de la dispersion primaire, en conditions de densité modérée, les chenilles (sur Chêne-liège, tout au moins) sont toutes sur les feuilles issues du récent débourrement;aucune n'est sur les feuilles anciennes persistant depuis l'année précédente. Les tests menés par HERARD (non publ.) indiquent très clairement que les chenilles circulent au hasard, goûtant et ne poursuivant la prise de nourriture que sur le feuillage préféré. Aucun stimulus à distance n'intervient (ceci est valable pour les chenillesde tous âges). La procédure est peu économe mais fonctionne dans tous les cas (le Chêne-liège avec son feuillage souvent composite, variable, n'est qu'un cas très particulier de substrat alimentaire pour L. dispar).

2. Chenilles âgées

Sur feuillage favorable, la chenille s'alimente en décapeuse de la face inférieure du limbe jusqu'à la fin du 1er stade. Ensuite, elle découpe le limbe en l'attaquant par le bord, en "Randfresser". Sur feuillage ancien (faute de jeunes feuilles) les chenilles décapent jusqu'au 3ème stade.

On examinera les rythmes d'activité, les déplacements, la recherche du site de chrysalidation.

La vie larvaire de L. dispar est marquée, entre les 3ème et 4ème stades, par un changement de rythme d'activité alimentaire: de diurnes, les chenilles deviennent nocturnes. Le phénomène est attesté par toutes les observations (DE LEPINEY, 1930; LEONARD, 1970a; 1974) et a été vérifié et quantifié par HERARD (non publ.): globalement, les chenilles de 1er stade passent respectivement 13, 17 et 70 % de leur temps journalier à déambuler, manger et ce reposer, contre 4, 13 et 83 % chez les 4ème stade. Les séquences sont cependant réparties différemment le long du nycthémère. Les L1, notamment, font des repas plus nombreux et plus courts le jour que la nuit, sans que la part du temps consacré à cette activité change: le rythme est plus intense le jour. Les chenilles âgées consacrent la journée au repos et aux déplacement, la nuit à la prise de nourriture.

La pluie inhibe l'activité des chenilles, jusqu'à ce que le feuillage ait séché (CHAKIR, 1981; SAMMAH, 1982).

Les chenilles émettent leurs fécès quand elles sont en phase d'activité (déambulation, prise de nourriture), plutôt le jour pour les jeunes stades, plutôt la nuit pour les stades âgés (FRAVAL, 1987a).

L'étude de l'activité des chenilles, à reprendre en s'aidant de méthodes automatiques d'actographie et de chronocoprographie (EL OUARTASSI, 1982; FRAVAL et PERTHUIS, 1984; ALAMI-KACIMI, 1986, LANCE et al., 1986a; FRAVAL, loc. cit.), peut apporter de précieux renseignements qualitatifs sur les populations de L. dispar (LANCE et al., 1986b).

Les déplacements des chenilles âgées sont moins étudiés que la dispersion des chenilles nouveau-nées. Ils ont lieu à l'occasion des allées et venues au sein de l'arbre entre sites d'alimentation et place de repos, à l'occasion des chutes sur le sol, également à la recherche d'autres espèces nourricières.

De nombreux auteurs, dont DE LEPINEY (1930) au Maroc, LEONARD (1970a) aux U.S.A., ont décrit et analysé les causes de mouvements de masse des grosses chenilles (stades IV et suivants), au crépuscule, entre sites de repos (sur le tronc, dans des abris) et feuillage. HERARD (non publ.), étudiant les répartitions successives de chenilles marquées, n'a pas réussi à mettre en évidence un tel phénomène, que nous-même n'avons jamais perçu nettement.

En cas de forte densité, les chenilles tombent fréquemment au sol (en filant ou pas), puis regrimpent sur les arbres, s'orientant vers la silhouette d'un arbre feuillé, évitant un simple tronc, plus proche (HERARD, non publ.). Les arbres une fois défeuillés, ce mouvement se poursuit jusqu'à la mort par épuisement des chenilles; les fils de soie dont elles ont balisé leur parcours -comportement manifesté en cas de mauvaises conditions (EL YOUSFI, 1980)- forment alors des toiles épaisses contre le tronc.

Par une suite de chutes et de réescalades, les grosses chenilles peuvent faire progresser un front de défoliation de 2 à 300 m, selon une de nos observations; par contre, dans un autre cas (BENLAHBOUB-JAZOULI, 1978), il n'y a pas eu invasion de la zone restée feuillée par les chenilles errant sur le sol sous des arbres défeuillés.

Dans des forêts mixtes, de règle aux U.S.A., L. dispar opère des choix entre des hôtes plus ou moins favorables des points de vue nourriture et/ou abris, ce qui entraîne des déplacements orientés entre les arbres (BARBOSA, 1978a et b; LANCE, 1983). La situation est différente en subéraie au Maroc, où L. dispar s'attaque à de très nombreux végétaux, mais uniquement quand le feuillage jeune du Chêne est épuisé. De même, les discordances de "choix" (de l'espèce d'arbre) entre chenilles et chrysalides, étudiées par BARBOSA (1978a) et par MAUFFETTE et LECHOWICZ (1984) n'ont pas lieu d'être dans nos conditions.

Le comportement de recherche du site de chrysalidation n'est connu que par ses conséquences: on note que dans les populations très peu denses, les chrysalides (et les pontes, les femelles se déplaçant très peu) sont cachées dans des abris sur l'arbre (BASTAOUI, 1983; HANNAK, 1986) et dans la litière au pied des arbres (BESS et al., 1947; CAMPBELL et al., 1975a;b). Au Maroc, nous n'avons jamais observé de pontes dans la litière; dans certainessubéraies (Bou-Hani, Tazekka), les femelles pondent sous les pierres et les roches.

La chrysalidation se fait souvent à l'endroit d'un obstacle (la hausse du Chêne-liège exploité notamment);la chrysalide est toujours suspendue, jamais posée. Parfois, les chenilles choisissent (en masse en certainslieux) des feuilles coriaces. Hors des abris, dont l'efficacité semble réelle, la positition des chrysalides n'a, semble-t-il pas grande signification vis-à-vis du parasitisme ni de la prédation et celle des pontes n'a pas d'influence sur les ennemis des oeufs (FRAVAL et al., 1989).

Les études des déplacements des chenilles ont inspiré des projets de méthodes de lutte, basés, notamment sur la perturbation des ascensions du tronc, au moyen de bandes de toiles de jute (LIEBHOLD et al., 1986), de badigeonnage par un produit répulsif (BOUKHATEM, 1984) ou par un insecticide de contact (BLUMENTHAL et HOOVER, 1986).

A toutes les phases de leur vie, les chenilles de L. dispar produisent de la soie (fil double de 1,5 à 8 f de diamètre), pour émigrer, pour baliser leur trajets, sur leurs place de repos (LEONARD, 1967; EL YOUSFI, 1980); à la fin du dernier stade, la chenille construit un filet lâche amarré aux aspérités du liège.

3. Papillons

L'émergence des papillons suit un rythme journalier net (MA et al., 1982).

Le mâle, comme la femelle, sont dépourvus de pièces buccales fonctionnelles; leurs activités sont en relation avec la reproduction; elles sont modulées par un rythme journalier (ODELL et MASTRO, 1980).

La femelle, une fois ses ailes dépliées, effectue en marchant un court trajet (de quelques cm à 1 ou 2 m), généralement descendant. Elle s'agrippe au liège (vertical ou surplombant). EL OUARTASSI (1982) a montré qu'elle est capable de reconnaissance chimique, évitant les zones traitées par une préparation à base de Melia azedarach (L.), un antiappêtant pour les chenilles. Elle s'immobilise et, durant les 3 premiers jours de sa vie (RICHERSON et CAMERON, 1974), "appelle" les mâles en émettant, par des glandes de l'extrémité de son absomen, une phéromone. Après un ou plusieurs accouplements (RICHERSON et al., 1976) elle pond une unique ponte, disposant 100 à 600 oeufs côte à côte, en 2 ou 3 couches, et les enrobant et recouvrant de "poils" (écailles longues et fines) de l'extrémité de son abdomen.

Le mâle, bon voilier, a un "rayon d'action" de l'ordre du km (ELKINTON et CARDE, 1980). Son vol a fait l'objet d'études récentes, d'ordre physiologique (CASEY, 1980) et éthologique (RICHERSON et al., loc. cit.; SCHROTER, 1981; PREISS et KRAMER, 1983; DAVID et al., 1983; PREISS et FUTSCHEK, 1985; PREISS et KRAMER, 1986), dont les résultats s'accordent avec les observations faites au Maroc.

Les papillons s'orientent, assez grossièrement, grâce à des stimuli optiques (silhouette des arbres) et olfactifs (phéromone émise par la femelle), dont l'action combinée dans les populations naturelles de L. dispar est encore mal connue; les travaux dans ce domaine sont nombreux, en relation avec la lutte par confusion sexuelle, mais la plupart ont été réalisés dans des conditions au moins en partie artificielles (animaux d'élevage,chambre de vol, attractif de synthèse, etc.).

Le phototropisme des papillons mâles a été étudié par PROTA (1974); leur capture par des pièges lumineux a également été envisagée par SZONTAGH (1974).

Le comportement de L. dispar est marqué d'une originalité certaine: la détection de la nourriture favorable et la dispersion incombent aux chenilles et non au papillon femelle comme chez la plupart des Lépidoptères.Les chenilles disposent de mécanismes très peu spécifiques pour accéder à l'endroit probable de la nourriture(géotropisme, phototropisme, attraction par des silhouettes d'arbres feuillés, fil de soie à suivre). Une telle stratégie est relativement coûteuse en énergie. Mais, alliée à la grande polyphagie de l'espèce et à son fort potentiel biotique, elle permet à L. dispar d'exploiter des arbres divers au sein de forêts de structures très différentes.

Les recherches éthologiques sur ce ravageur doivent être approfondies, pour mieux interpréter et prévoir les fluctuations d'effectifs, pour augmenter l'efficacité de moyens de lutte prometteurs. Les difficultés méthodologiqueset expérimentales sont toutefois très grandes (complexité et variabilité du milieu naturel, hétérogénéité importante des comportements individuels.


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