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Entomologie et illustrateurs : essai historique

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NB : ceci est le texte écrit pour l'ouvrage.

On peut faire remonter l'histoire du dessin entomologique aux premiers âges de l'humanité. Si les insectes n'eurent pas la place prépondérante des grands animaux chassés, on en connaît cependant quelques représentations préhistoriques. Au Magdalénien, la première image connue semble être la gravure sur un bâ-ton en os de la grotte d'Enlène (Ariège) d'une sauterelle cavernicole, probablement un Troglophilus. Au Néolithique, la célèbre peinture rupestre de la Cueva de la Araña (Valence, Espagne) montre une silhouette humaine prélevant dans une cavité un rayon de miel et entourée d'abeilles sauvages très schématisées.


Le thème entomologique traverse tout ce temps de la Préhistoire un peu partout dans le monde (Sahara, Afrique du Sud, Australie, Mexique...) sous forme de traces graphi-ques parfois élémentaires. En Chine le Ver à soie, dont l'élevage fut développé quelques vingt sept siècles avant notre ère, a servi de sujet aux artistes orientaux. L'Egypte ancienne nous a livré des représentations variées d'insectes. C'est ce qui permit à P.-A. Latreille d'étudier, dès 1819, les espèces figurant sur les monuments ou les objets. Ainsi furent reconnus, non seulement l'Abeille et le Scarabée sacré, mais aussi d'autres Scarabéidés (Heliocopris, Chironitis...), des Hyménoptères comme des Pompilidés... Un vélin, du Muséum, peint par Nicolas Huet et destiné à illustrer ce travail (1), permet la comparaison entre les formes plus ou moins stylisées et les espèces actuelles. La quête des images ento-mologi-ques pourrait se poursuivre à travers les anciennes civilisations : Sumer, Assur, Hittites, Grèce, Rome, Extrême-Orient, Amérique précolombienne..., mais tel n'est pas notre propos.

L'insecte a inspiré, au cours des siècles, les artistes attirés par la beauté de ses cou-leurs, la singularité de ses formes ou le fantastique qui fascine l'imagination hu-maine.

Les " Ymagiers " du monde gothique ont parfois agrémenté d'un décor zoomorphe, es-sentiellement suggéré par les Vertébrés mais aussi plus rarement par les Insectes, les marges enluminées des évangéliaires, livres d'heures, bréviaires ou psautiers.

Villard de Honnecourt, par son Album (réalisé vers 1230) où sont représentés pêle-mêle mouche, libellule, sauterelle et oiseaux, Jean Pucelle par le Bréviaire de Belle-ville (vers 1323) où l'on reconnaît papillons et libellules, Jean le Noir par son Psautier, en sont quelques-uns des représentants les plus connus.

Après l'époque médiévale, les siècles suivants voient les insectes servir de modèles aux peintres et graveurs qui souvent les restituent avec une précision et une exactitude remarquables. Si le Cerf-volant (1505) d'Albert Dürer est universellement apprécié, les aquarelles sur parchemin (1600) de Jacques de Gheyn II, les vélins fleurs et insec-tes (1624) de Daniel Rabel (récemment édité en fac-similé), les gravures sur cuivre de Joris et Georg Hoefnagel ou de Wenzel Hollar sont quelques exemples anciens d'une influence entomologique qui se poursuivra jusqu'à nos jours.

L'invention de l'imprimerie (voir encadré) donnera un élan considérable à la diffusion des connais-sances. C'est alors qu'apparaissent les premiers ouvrages consa-crés aux Insectes. Les dessinateurs, tous n'étant pas d'une égale virtuosité, s'efforcent d'expliquer le texte au moyen d'images. Le premier ouvrage d'importance dans ce do-maine est celui d'Ulisse Aldrovandi : De animalibus insectis libri septem cum singulo-rum iconibus ad vivum expressis (1602) dont le titre exprime bien l'intention dans laquelle sont exécutées les gravures sur bois. En 1634 paraît, après bien des péripéties, Insectorum sive minimorum animalium Theatrum. Le Suisse Conrad Gessner, emporté par la peste en 1565, avait rassemblé, pour le sixième tome de son Histoire des Animaux, des matériaux que Wotton et Penny reprirent, avant que l'ouvrage ne fut terminé par Thomas Moufet. Avec ses 535 figures en xylographie, c'est en fait le premier ouvrage d'entomologie illustré.

Au cours du XVIIe siècle les natu-ralistes ont, avec le microscope, un nouveau domaine de recherches pour l'étude détaillée des Insectes. La finesse de la gravure sur cuivre permit de mettre en valeur les travaux d'habiles anatomistes et observateurs dont les volumes parurent presque à la même date et connurent rééditions et traductions. F. Redi dans Esperienze intorno alla generazione degl'insetti [...] (1668) apporte la preuve, contre Aristote, du développement de tous les Insectes à partir d'un oeuf ; Dissertatio epistolica de Bombyce (1669) de M. Malpighi regroupe en douze planches des détails anatomiques précis sur le Bombyx du mûrier, tandis que Jan Swammerdam illustre ses ouvrages, Historia Insectorum generalis [...] (1669) puis Biblia naturae (1737-38) de dessins finement exécutés. Dans le même esprit, A. Leeuwenhoek regroupe ses ob-servations microscopiques dans Arcana naturae [...] (1695).

Entre 1662 et 1669, J. Goedart fait paraître Metamorphosis et Historia Naturalis Insectorum [...], orné de 105 planches gravées et coloriées à la main. Avec Maria Sibylla Merian on découvre une artiste doublée d'une naturaliste qui peindra avec virtuosité insectes et plantes ; elle ira même jusqu'aux Amé-riques d'où elle rapportera des observations consignées dans le célèbre Metamorphosis Insectorum surinamensis [...] (1705), illustré de 60 planches enluminées. Dans la catégorie des livres « qui n'étaient faits que pour les yeux » il faut citer E. Albin et son A natural history of English Insects [...] (1720) illustré de 100 planches peintes.

Quant à l'oeuvre magistrale de R.-A. Réaumur, Mémoires pour servir à l'Histoire des Insectes (6 volumes, de 1734 à 1742), elle est le type même de l'ouvrage scientifique illustré pour éclairer un texte. L'auteur, à la recherche d'artistes, constate : « Les bons Peintres en portrait sont rares et le nombre des bons Peintres ou des bons des-sinateurs en portrait d'insectes est incomparablement plus petit ; peu de peintres s'exercent à en faire et il est très difficile d'y réussir » et d'ajouter « Ceux qui, comme moi sont incapables de faire les desseins dont ils ont besoin, ne doivent pas au moins se dispenser de les faire faire sous leurs yeux quelque temps qu'il leur en doive coûter. Un dessinateur a beau être intelligent, il lui est impossible d'entrer dans les vues d'un auteur, si l'auteur ne conduit, pour ainsi dire, son pinceau ». Lignes exemplaires et toujours actuelles ! Les 267 planches en noir des Mémoires sont réalisées d'abord par Simonneau, fils d'un des premiers graveurs ayant cultivé son art en travaillant plus de vingt-cinq ans sous les yeux des plus savants académiciens, puis par Mlle Hélène du Moutier ou Dumoutier de Marsilly, sa collaboratrice dévouée, qui lui fut une aide précieuse par ses qualités de dessinatrice et ses dons d'observation. Réaumur lui témoignera sa recon-naissance en la faisant sa légataire universelle.

Parmi les correspondants de Réaumur, P. Lyonet a une place dans ce propos. Eminent anatomiste, il publie en 1760 un Traité anatomique de la chenille qui ronge le bois du saule, suivi d'une deuxième édition augmentée (1762). Il a gravé lui-même les dessins, d'une finesse si remarquable qu'on y peut détailler des milliers de muscles et suivre le système nerveux dans ses plus ténues ramifications. Dans la préface, il trace sa ligne de conduite : « Dès qu'un Dessinateur se contente de n'exprimer qu'en gros ce qu'il voit, le faux s'y mêle avec le vrai et défigure le tout, aussi me suis-je constamment interdit cette licence ».

A partir de 1746 paraissent les premières livraisons d'une oeuvre considérable de A.J. Roesel von Rosenhof, Insecten Belustigung (Divertissement entomologique), qui sera continuée par son gendre C. Kleeman, miniaturiste comme lui, jusqu'en 1761. Peintre auprès du roi du Danemark, il découvre, au cours d'un séjour en Allemagne, les planches de M.S. Merian qui suscitent son désir de réaliser un ouvrage sur les insectes. Très tôt, la plupart de ses contemporains manifestent un grand intérêt pour cette publication. Ainsi Réaumur écrit : « On ne les vend je crois qu'enluminées, elles sont très bien pour la plupart. L'auteur est peintre et observateur en même temps, il s'appelle Rössel. Son ouvrage qu'il donne par feuille s'imprime à Nuremberg. J'en ai voulu quelques pages traduites dont j'ai été content ».

A cette époque bien d'autres artistes s'enthousiasment pour les insectes. Ainsi Thomas Martyn crée, en Grande-Bretagne, une école de peinture pour l'histoire naturelle et publie en 1792 un « ouvrage où l'on a rassemblé tous les insectes Coléoptères qui se trouvent en Angleterre et qui forment plus de 500 espèces différentes d'insectes dont les figures n'ont jamais été données au public, le tout exactement dessiné et peint d'après nature, arrangé selon le système de Linnaeus et suivant les mêmes dénomi-nations ». Les ouvrages de Linné ou de Fabricius sont en effet pratiquement sans figures et les insectes peuvent difficilement se reconnaître à la lumière des très courtes descriptions. Ce qui fait écrire à T. Martyn : « Un bon système une fois établi, l'art du dessinateur et le talent du peintre sont d'un grand secours ». C'est ce que penseront bien des artistes de cette époque comme J. L'Admiral, C.A. Clerck, C.A. Sepp, J. Barbut, M. Harris (qui travaillera aussi pour D. Drury), A.J. Coquebert de Montbret, J. Abbot. Certains entomologistes font directement appel à des illustrateurs, comme M.D.J. Engramelle, dont les planches de papillons sont « peintes d'après nature par J.J. Ernst et gravées et coloriées sous sa di-rection » (après 1785 cette mission fut confiée à M.E. Hochecker, Desfontaines...) ; J.H. Sulzer a recours aux servives de J.R. Schellenberg, J.C. Schaeffer à ceux de Laibel, tandis que J.C. Füessly fait travailler plusieurs artistes, dont J. Herbst et J.R. Schellenberg.

Débute alors le siècle d'or de l'entomologie. Les ouvrages se multiplient, beaucoup présentant des planches en couleurs peintes à la main. G.W.F. Panzer commence en 1793 la publication d'une oeuvre originale, Fauna insectorum germaniae initia oder Deutsch-land Insecten, qu'il poursuivra jusqu'en 1809. Il s'agit d'une série de cahiers, in-8° oblong de format 10 X 15, présentés sous une couverture contenant 24 planches séparées représentant une espèce finement enluminée accompagnée d'un feuillet correspondant à la description. Les figures, livrées sans ordre systématique, sont destinées à être regroupées en fin de parution. En 1809, 109 fascicules sont livrés, soit un total de 2 616 planches. Un autre cahier publié par Geyer termine cet ensemble qui sera continué par G. Herrich-Schäffer, sous une forme un peu différente, jusqu'en 1844. Les miniatures, d'une remarquable exactitude, sont la création de Jacob Sturm, qui peut être considéré comme l'illustrateur le plus apprécié de son époque. Il ornera aussi ses propres publications comme Deutschland Insecten Käfer ou les Catalogues successifs de sa collection.

Cette période voit l'éclosion d'un nombre considérable d'ouvrages excellemment illustrés. La plupart, rares, sont recherchés par les bibliophiles (voir tableau ci-dessous).


Quelques ouvrages d'Entomologie du XIXe siècle comportant des planches peintes à la main

Année(s) de parution    Auteur(s)
Titre, nombre de tomes, nombre de planches
Illustrateur(s)


Des illustrateurs de cette époque, retenons quelques noms. J. Curtis, à la fois auteur et dessinateur de British Entomology et de Farm Insects, apportait un soin méticuleux à la gravure de ses planches et l'on rapporte l'anecdote suivante. Examinant une pre-mière épreuve en taille douce, il fit cette remarque au graveur : « Monsieur, vous n'avez mis que douze poils à la queue de cette mouche quand il en faut treize ».

P. Jacquelin du Val fait exécuter les 303 planches de son Genera des Coléoptères d'Europe par Jules Migneaux, dont la mort sera célébrée par le Muséum et la Société entomologique de France pour les Annales desquelles il avait aussi apporté une collaboration talentueuse. Parmi les nombreux ouvrages de E. Blanchard remarquons la Zoologie agricole (les plantes ornementales) dont 15 livraisons paraîtront entre 1854 et 1856 et dont l'introduction rappelle : « La parfaite ressemblance ne sera pas un vain mot. Cet atlas est l'oeuvre du père de l'auteur dont le nom, depuis plus de trente ans, se trouve inscrit sur une foule de dessins qui accompagnent les grands ouvrages d'histoire naturelle publiés de notre temps ». Les planches de J.W. Meigen méritent une mention spéciale, ce grand diptériste allemand avait dessiné tous les insectes décrits dans ses Europäischen Zweiflügeligen ; mais les deux volumes d'aquarelles d'une valeur tant scientifique qu'esthétique ne virent jamais le jour puis furent acquis et conservés par le Muséum de Paris ; ce n'est qu'en 1975-76 que ce trésor fut publié.

Dans quelques cas, des planches éditées furent réutilisées pour un autre ouvrage ; en voici quelques exemples. En 1789, J.J. Roemer reprend les planches de Schellenberg exécutées pour le livre de J.H. Sulzer de 1776. Dans sa nouvelle édition (1843) du Manuel d'Entomologie, P. Boitard y adjoindra un atlas de 110 planches coloriées (de Baraband, Desève et Meunier) venant de l'Histoire naturelle des Insectes de Tigny (1828) ; E. Guérin-Méneville fait paraître de 1829 à 1844 une Iconographie du Règne animal de G. Cuvier [...] avec cette préci-sion : « Ouvrage pouvant servir d'atlas à tous les traités de Zoologie », où les insectes sont l'objet d'un recueil de 104 planches colo-riées accompagnées d'un texte explicatif.

L'appel fut entendu, par M. Girard qui utilisa la plupart de ces planches pour son Traité élémentaire d'Entomologie (1873-1885). Félix Edouard Guérin-Méneville fut d'ailleurs un entomologiste fécond doublé d'un artiste talentueux dont les figures illustrent nombre de revues entomologiques en particulier les Annales de la société entomologique de France et surtout la publication qu'il animait, le Magasin de Zoologie.

Les grands voyages et en particulier ceux de circumnavigation donnèrent lieu à des présentations de résultats, avec le plus souvent, des planches peintes. Citons les périples de l'Uranie, de la Coquille, de l'Astrolabe, de la Favorite, de la Bonite, de l'Astrolabe et Zellée, l'exploration scientifique de l'Algérie, le voyage de l'Amérique méridionale de d'Orbigny, Reise der oesterreichen Fregatte Novara, l'expédition en Amérique du Sud de F. Castelnau, la mission scientifique au Cap Horn, le voyage au Gabon de J. Thomson... Cette tradition se poursuivra au XXe siècle, le plus bel exemple pour la richesse et le luxe de l'iconographie étant le voyage du baron Maurice de Rothschild (les animaux articulés sont réunis en un Atlas de 100 planches coloriées au pinceau paru en 1923).

Enfin, quelques grands dictionnaires spécialisés comportèrent de remarquables planches sur les insectes tels le Dictionnaire pittoresque d'Histoire naturelle [...] de F.E. Guérin-Méneville ou le Dictionnaire universel d'Histoire naturelle de Ch. d'Orbigny auxquels participèrent des dessinateurs comme E.T. Blanchard, F.E. Guérin-Méneville, Delarue, Vaillant et d'autres.


Au XXe siècle les nouveaux procédés de reproduction et d'impression dont l'ap-parition avait commencé au siècle précédent, se développent et se générali-sent. Les connais-sances entomologiques s'accroissant, il devient de plus en plus difficile de considérer de vastes groupements et la tendance est à une plus grande spé-cialisation avec des études de groupes plus restreints. Les dessins « d'ensemble » cèdent le pas au croquis de détail permettant de montrer, par exemple, la différence en-tre deux organes. Ce type de représentation demande une moins grande maîtrise et nombre de rédacteurs de notes ou de monographies s'y risquent, s'aidant parfois d'une chambre claire. Nombreux furent en fait ceux qui manièrent aussi bien les instruments du naturaliste que ceux de l'artiste. D'autre part, la photographie, là encore avec plus ou moins de bon-heur, aide l'entomologiste. Il n'en reste pas moins que des-sins et aquarelles demeurent des documents irremplaçables permettant de mettre en valeur des détails et ainsi de reconnaître, comme le naturaliste, un animal « à la gueule ».

La profusion des travaux à cette époque, rend très difficile un survol de la production iconographique entomologique, même limitée à la France. C'est dire la difficulté de ci-ter des noms sans risquer d'en omettre.

Bien qu'un peu en dehors de notre perspective, signalons que certains dessinateurs animaliers réputés avaient une très bonne connais-sance des insectes. J.-J. Granville, après les Fables de La Fontaine, réalise des caricatures pour les Scènes de la vie privée et publique des animaux (2 tomes, Hetzel 1842 et 1844), un recueil collectif perme-tant, sous le couvert des animaux, de critiquer les travers d'une époque où il illustre avec humour et réalisme les Aventures d'un Papillon, l'Oraison funèbre d'un Ver à soie de J. Hetzel ou les Souffrances d'un Scarabée de P. de Musset. Quant à H. Giacomelli, ses 140 vignettes sur bois donnent un caractère original à une édition de luxe de l'Insecte, de J. Michelet.

La vulgarisation de l'entomologie supposait des faunes permettant de reconnaître les principales espèces. La maison E. Deyrolle mit en chantier une Histoire naturelle de la France dont six parties furent consacrées aux arthropodes. A ce propos, le nom de Louis-Marie Planet mérite une mention spéciale car il en illustra trois : il refondit le livre de L. Fairmaire sur les Coléoptères, l'augmentant de 271 figures finement exécu-tées, qui resta longtemps la bible des jeunes coléoptéristes français, écrivit et dessina celui des araignées, figura les libellules de R. Martin ; sa technique artistique profita à bien des revues entomologiques et à des livres comme celui qu'il rédigea sur les Longi-cornes, où le préfacier, E. Bouvier, estimait « qu'une très belle et très exacte image semble rendre inutile l'emploi des tableaux dichotomiques ».

Plus près de nous, des collections comme, chez N. Boubée, les Atlas d'Entomologie (illustrés par G. Boca, Y. Bouisset, A. Villiers, R. Préchac, R. Metaye, B. Couturier, A. Moreau) ou, chez Delachaux et Niestlé, les Beautés de la nature avec les remarquables représentations de Paul A. Robert et les Guides du naturaliste avec les planches peintes par B. Hargreaves, R. Préchac ou Gaëtan du Chatenet, font partie de la bibliothèque de base des amateurs d'insectes.

Nombreux, comme il a été dit, furent les entomologistes qui illustrè-rent eux mêmes leurs travaux, comme R. Jeannel, travailleur fécond qui orne ses publi-cations sur les Coléoptères ou la biogéographie de ses dessins précis et dépouillés ; E. Séguy, d'abord artiste peintre miniaturiste, réalise une oeuvre colossale sur les Diptères, dont il assure lui-même l'illustration ; A. Villiers, formé au dessin industriel, produit un nombre considérable de travaux où les insectes (Longicornes ou Hémiptères entre autres) sont représentés de sa main. Les dessins d'ensemble ont tenté aussi quelques spécialistes amateurs particulièrement doués : J. Balazuc, G. Ledoux, P. Bonadona, J. Péricart...

La nécessité de vulgariser les connaissances sur les insectes nui-sibles à l'agriculture a favorisé la multi-plica-tion d'ouvrages ou de planches en couleurs et un artiste comme Armand-Lucien Clément fut souvent sollicité pour y apporter sa contribution. A une époque plus récente, l'Association de coordination des techniques agricoles (ACTA) a développé une importante collection de fiches grand-format sur les principaux problèmes de défense des cultures ; toutes ces planches reproduisent des aquarelles dues surtout à Françoise Blu, mais aussi à G. Buisson ou à R. Préchac.


L'illustration est le complément indispensable de la publication scientifique. C'est ce qui a engagé des établis-sements à s'attacher le service de dessinateurs travaillant à la demande et guidés par les chercheurs. Léon Dufour, qui réalisa lui-même avec soin la plupart de ses figures avait écrit : « L'iconographie n'est pas tou-jours de la science et elle a souvent besoin d'être surveillée, quand on n'en est pas soi-même l'auteur ».

Le Muséum d'histoire naturelle de Paris abrita très tôt une sec-tion d'iconographie. La prestigieuse collection de vélins, qui y est actuellement conservée, est un héritage de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, qui fit exécuter les premières aquarelles sur des peaux de veaux mort-nés. Si les fleurs furent initialement le principal sujet d'inspiration, il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître des sujets uniquement entomologiques avec Joubert et Claude Aubriet (en relation avec Réaumur), qui en peint une trentaine. Après la Révolution, le Jardin du Roy devient Muséum d'histoire naturelle et, pour les cours d'iconographie naturelle (« art de dessiner et de peindre toutes les productions de la nature »), le décret de la Convention du 10 juin 1793 précise : « On les formera par les exemples des grands maîtres, et par l'exercice non interrompu, à rendre avec vérité, correction et pureté les caractères, la forme et les couleurs des minéraux, des végétaux et des animaux ». Les nouvelles chaires créées sont parfois dotées d'un peintre, comme celle des animaux sans vertèbres avec Oudinot. Celui-ci, vraisemblablement incité par Latreille, réalise une quarantaine d'aquarelles sur les insectes. Succédant à ce poste, N. Huet fut suivi par des ar-tistes dont les noms signent bien des figures ou des planches de périodiques ou d'ouvrages : E.-T. Blanchard, H. Nicolet, J.-B. Meunier, Prêtre, A. Millot, A. Poujade...

Au laboratoire d'Entomologie, la tradition s'est perpétuée et, après Germaine Boca dont les dessins illustrèrent, entre autres, les travaux de L. Chopard, l'Atlas des Carabiques de la Faune de France ou le frontispice (une cicindèle du Bengale) du livre du Centenaire de la Sciété entomologique de France, c'est aujourd'hui G. Hodebert qui occupe cette fonction. On n'aura garde d'oublier P. Bourgin, attaché à la chaire d'ana-omie comparée, qui auprès de J. Millot illustra les publications de son patron sur les Araignées ou le Coelacanthe ; lui-même entomologiste il exécuta non seule-ment les dessins de ses notes mais aida d'autres collègues comme A. Hoffmann pour les Anthribidés de la Faune de France.

D'autres institutions comme l'Ecole normale supérieure - qui utilise actuellement les talents d'Yvonne Schach-Duc -, l'institut Pasteur - avec Gérard Langlois - ou l'INRA qui hébergea F. Pétré, B. Couturier et R. Préchac (dont les carrières sont évoquées plus haut) sont des exemples de la place unique des illustrateurs, peintres ou dessinateurs, en entomologie.

Enfin dans un domaine, certes différent, il faut évoquer Pierre Déom qui allie, pour sa Hulotte, à la fois humour et rectitude scientifique dans un souci pédagogique.

Assurément la photographie a beaucoup apporté à l'iconographie entomologique, en particulier pour fixer un comportement ou des détails (notamment avec le microscope électronique à balayage), mais elle ne suppléera jamais la technique de l'artiste natu-raliste et l'éclairage particulier qu'il donne à la réalité, alliant à la fois la précision systématique et le sens esthétique.

Jacques d'Aguilar


[R] L'imprimerie des livres illustrés d'entomologie jusqu'au XIXe siècle

Au livre manuscrit sur papyrus, parchemin puis papier (découvert en Chine autour de l'an 100 de notre ère) succède, après l'invention de l'imprimerie, le livre imprimé. la reproduction en série des textes devait nécessairement entraîner la reproduction méca-nique des images. Héritière de la xylographie, la gravure sur bois s'impose d'abord pour illustrer les textes. C'est ainsi que des bois gravés, avec des figures taillées en relief, sont introduits dans la forme, au milieu des caractères typographiques. Il s'agit là moins souvent d'oeuvres artistiques que de représenta-tions relativement frustes et grossières destinées essentiellement à rendre le texte concret (comme on le voit par exemple chez Mouffet). Or, depuis le début du XVe siècle, on connaît l'art de la taille douce ; la gravure sur métal en creux (sur cuivre) permet de mieux traduire les jeux d'ombre et de lumière et d'obtenir des traits d'une plus grande finesse, un procédé qui avait toujours eu la préférence des artistes. Dès le XVIe siècle, cette technique est utilisée pour l'illustration des livres et servira pendant deux siècles (Hollar, Réaumur, Donovan, etc.). La découverte de la lithographie par Aloys Senefelder à la fin du XVIIIe siècle représente un renouveau pour les artistes zoologistes, qui l'utiliseront largement. Pour obtenir une image en couleurs, le procédé des enlumineurs de manuscrits se perpétue jusqu'au milieu du XIXe siècle. Il s'agit d'un travail exécuté à l'unité qui consiste, à partir de la figure imprimée, à peindre à l'aquarelle chaque exemplaire à la main. Cependant, dès le XVe siècle, des tentatives d'imprimerie en couleurs voient le jour, avec des succès divers. L'une des premières réalisations pratiques est celle de Gautier d'Agoty qui publie Observations sur l'histoire naturelle, sur la physique et sur la peinture (1752-1753) avec des planches imprimées en six couleurs. La pratique de la chromolithographie prend place à la fin du XIXe siècle et persistera, avec quelques modifications, au XXe siècle. Enfin, la processus classique de l'imprimerie sera profondément modifié par l'introduction de la photocomposition puis par la numérisation des images. [Vu]


Note (1) Publié dans les Mémoires du Muséum d'Histoire naturelle, t. 5, 1819, pp. 249-270, et réim-primé dans Mémoires sur divers sujets de l'Histoire naturelle des Insectes [...] 1819, Paris, Déterville, pp. 145-165. Le vélin est reproduit dans le Livre du Centenaire de la Société entomologique de France, 1932, pl. XV. [Vu]


[R] Jacques d'Aguilar, Remi Coutin, Alain Fraval, Robert Guilbot, Claire Villemant, 1996. Les illustrations entomologiques. INRA Éditions, Versailles, 153 pp.