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Les insectes de la Belle Époque

LES INSECTES ET LES GRANDS FLÉAUX DE L'HUMANITÉ

On dirait que pour les guerres iniques, la nature fait parfois cause commune avec les hommes qui défendent le sol de leur patrie.

C'est ainsi qu'on a vu à Cuba les Américains aux prises avec les moustiques après avoir vaincu Espagnols et Cubains. Il est vrai que les moustiques à leur tour paraissent aujourd'hui domptés et avec eux la terrible fièvre jaune qu'ils inoculaient.

Aux Philippines, voilà qu'un autre ennemi, la surra, après avoir décimé la cavalerie des Américains, envahit depuis la pacification et la conquête des îles, le continent américain lui-même. C'est une revanche d'Aguinaldo qu'on n'avait pas prévue.

La surra, si elle n'attaque pas l'homme, exerce du moins de sérieux ravages parmi la population chevaline, et ceci n'est point fait pour faciliter les opérations militaires. La surra est une maladie plus ou moins commune aux Indes : on ne sait comment elle a été importée aux Philippines, où elle semble exister depuis un petit nombre d'années. C'est une affection parasitaire due à la présence d'un organisme microscopique qui vit dans le sang; c'est une affection qui se propage aisément, grâce aux mouches et taons. Ces insectes, en absorbant le sang des chevaux malades, se contaminent, et, en piquant des animaux sains le cheval surtout, mais aussi le chameau, l'éléphant, le chien, le chat, la chèvre, le mouton - ils leur inoculent le mal. Celui-ci est presque invariablement fatal : il commence par de la fièvre et de l'anémie, puis l'animal maigrit, malgré un appétit dévorant et une soif ardente, et meurt de paralysie. Aucun remède n'est encore connu : on en est réduit à isoler les animaux malades pour empêcher les mouches de venir leur prendre le parasite. Si la surra s'établit aux États-Unis, les conséquences seront désastreuses.

Au Transvaal, les Anglais s'étaient déjà heurtés à la terrible mouche " tsétsé " ou glossine, qui leur coûta plus de cent mille chevaux ou bêtes de somme. Elle avait déjà combattu avec les Cafres et les Hottentots contre les Hollandais ancêtres des Boers; mais les chevaux boers s'y étaient acclimatés, car il y a toujours une vaccination possible à côté de tout mal épidémique.

C'est le secret de cette immunité que la science française espérait arracher aux malheureux nègres atteints de la maladie du sommeil qu'on a pu voir à l'Académie de médecine il y a quelques semaines, mais qui sont bien vite morts, emportant dans la tombe le secret de leur infection. Il est certain, néanmoins, désormais, qu'ils cultivaient, à la suite de piqûres de mouches tropicales, un microbe particulier affectionnant le liquide céphalo-rachidien où la ponction lombaire du vivant des malades a démontré la pullulation.

C'est un résultat important que de connaître l'ennemi à combattre et son point de concentration; espérons que d'autres découvertes s'ensuivront et permettront bientôt de vaincre ce nouvel ennemi de l'homme dans la zone torride.

Ceci nous amène au côté curieux de tous ces faits et au point commun qui les relie ensemble et constitue l'idée nouvelle et capitale dont ces dernières années ont enrichi l'étude de la genèse des affections contagieuses : je veux parler du rôle essentiel joué par les insectes dans la transmission des maladies épidémiques.

Mais, d'abord un peu d'histoire.

L'opinion publique, confirmée et prouvée par l'observation médicale ancienne, avait pu établir un certain nombre de faits sans lien connu entre eux qu'explique la découverte nouvelle du rôle prouvé des insectes.

Tous les coloniaux et habitants des tropiques savent depuis fort longtemps que les fièvres atteignent surtout les imprudents qui ont dû coucher dehors ou errer à la nuit tombante sous les ombrages et dans les lieux humides.

On se l'explique facilement, aujourd'hui que l'on sait que l'agent de propagation du paludisme est le moustique anophèle, qui ne peut s'élever au-dessus des bas-fonds et qui habite les feuillées, les marécages et les terreaux humides où prospèrent ses larves:

Les anciens observateurs avaient distingué les fièvres tierces, quartes, quintanes, sextanes, etc., et leurs combinaisons, qui semblent aujourd'hui en un certain rapport avec les périodes d'évolution des hématozaires ou parasites du sang, bien étudiés aujourd'hui sous les quatre formes successives qu'ils revêtent.

Il n'est pas jusqu'aux époques annuelles et aux distributions géographiques établies de longue date pour les fièvres palustres, qui ne coïncident avec la répartition des variétés de moustiques à incriminer et leurs apparitions saisonnières correspondantes.

" La malaria, dit le Dr Calmette, ne sévit avec rigueur que dans la zone du globe comprise entre la quatrième ligne isothermique au nord et la seizième ligne au sud de l'Équateur. Ses foyers se trouvent dans les deltas des grands fleuves, dans le voisinage des côtes basses, des lacs intérieurs et des marais. Toutes les terres que baigne la Méditerranée sont soumises à son influence. En France, le paludisme est endémique en Bretagne et s'étend sur la vallée de l'Indre et de la Loire, sur la vallée du Rhône, sur les rivages ouest de l'Océan et dans nos départements de l'Hérault, du Var et des Alpes-Maritimes. En Allemagne, il ravage les bords de la Baltique ; en Autriche, il suit le cours du Danube et celui du Volga en Russie. De là, il pénètre en Asie, jusqu'aux confins de l'Extrême-Orient, sauf au Japon, où il n'a pas encore été observé. On sait, par contre, combien la malaria est intense dans le Centre-Amérique, au Mexique, en Colombie, au Panama et, enfin, dans toute l'Amérique méridionale. Quant à l'Afrique, c'est son pays de prédilection, et l'on peut dire que cette riche portion du globe ne sera ouverte à la civilisation et au commerce que le jour où l'on aura vaincu la malaria. "

C'est là, exactement, la distribution des insectes du genre Anophèle dans la géographie médicale qu'ont dressée les naturalistes.

" Le paludisme ou infection malarique, dit Calmette, est un des plus grands fléaux qui frappent l'humanité : c'est lui qui, sans contredit, prélève le tribut obituaire le plus élevé sur les collectivités; c'est lui qui entrave le plus obstinément l'expansion civilisatrice à travers le monde. Aux Indes, la statistique a démontré qu'en 1897, sur 178 000 hommes d'effectif, il y avait plus de 75 000 hospitalisés pour la malaria. En Italie, la moyenne des morts par cette affection, pendant la période décennale de 1887 à 1897, a été .de 15 000 par an. Quant au chiffre des malades dans les diverses colonies françaises, il est impossible à évaluer arithmétiquement, car on sait combien est tenace l'intoxication paludéenne et quelle empreinte elle laisse à l'économie tout entière pendant de longues années. "

La peste aussi, périodiquement, décime l'espèce humaine quand d'autres cataclysmes ou grandes guerres n'en tiennent pas lieu.

Or, dès le moyen âge, on avait remarqué que les épidémies de peste humaine s'annonçaient par des épidémies chez les rats; les bateaux infestés de rats étaient toujours les plus à craindre pour la transmission de la peste. On le comprend maintenant qu'on sait que c'est la puce, passant du rat infecté à l'homme, qui inocule la maladie bubonique. Ainsi s'explique encore le danger des tapis et chiffons de vêture provenant des pays contaminés, à cause des facilités qu'ils offrent pour le transport des insectes précités. Le siège plus fréquent des bubons aux membres inférieurs s'explique de même par les piqûres plus nombreuses aux jambes, la puce sautant du sol aux vêtements proches et aux surfaces non couvertes (mollets des Asiatiques, des marins et ouvriers des ports).

Mais il n'y a pas que les puces, moustiques ou glossines d'Afrique et des Philippines qui transportent et inoculent des microbes pathogènes, Pasteur avait dénoncé la mouche domestique et la mouche bleue des viandes comme agents fréquents de transmission du virus charbonneux; il démontra l'existence de bactéridies charbonneuses dans le corps des mouches incriminées. On sait moins que ces insectes peuvent transmettre des affections qui, plus courantes, n'en sont pas moins éminemment dangereuses.

La fièvre typhoïde, dont la propagation parles eaux attirait jusqu'ici l'attention, peut être transmise par les mouches et là encore, les récentes campagnes de l'armée américaine à Cuba et Porto-Rico et des Anglais au Transvaal sont venues le montrer.

En France, avant l'expédition du Tonkin, au Pas-des-Lanciers, les soldats réunis au camp furent décimés sans qu'on pût accuser, au moins au début, les eaux d'avoir apporté le germe.

Dans sa dernière campagne, l'armée américaine eut 21 p. 100 de ses effectifs atteints de fièvre typhoïde et 80 p. 100 de ses pertes totales sont dues à cette cause. Les mouches lui ont donc fait quatre fois plus de mal que l'ennemi, car ce sont elles qu'il faut accuser, d'après les recherches très précises des médecins du corps expéditionnaire, MM. Sternberg, Howard, etc.

D'après ce qu'ils ont observé dans les camps de la milice de Colombie pendant l'été de 1899 et celui de 1900 à Cuba, ce sont les mouches vivant sur les détritus et matières de toutes sortes en décomposition, exposés à l'air, qui sont les agents de transmission dans les campements militaires mal établis et mal entretenus, de même que dans lès maisons mal tenues ou les quartiers négligés où l'on dépose des ordures au coin des rues.

La même observation fut faite pour les ophtalmies épidémiques par Larrey pendant la campagne d'Égypte. Actuellement encore, les poussières infectées, transportées par le vent ou lés mouches, perpétuent en Égypte le trachome et les ophtalmies diverses.

J'ai, pour ma part, observé la transmission indubitable, par les mouches, de la conjonctivite à streptocoques et du pneumocoque transporté de lèvre à lèvre.

C'est par les pattes et la trompe que les insectes ailés transportent et transmettent leur abominable butin, et les médecins américains, après avoir examiné au microscope près de 25 000 mouches, n'ont pas trouvé moins de huit espèces diverses de mouches contaminées.

Ils ont dressé un tableau des diverses espèces par ordre de fréquence de contamination : trois surtout sont à craindre, la mouche domestique ordinaire, la mouche d'écurie, Muscina stabulans, et la Sarcophaga assidua. Certaines autres mouches piquent aussi vivement que des mouches à trompes, témoin le sang qu'elles font jaillir même du cuir des animaux.

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Ces constatations scientifiques constituent probablement le seul bénéfice apporté à l'humanité par les dernières guerres.

Elles étaient pressenties dès longtemps : la Bible même attribue aux mouches l'une des dix plaies d'Égypte, celle qui se manifesta par l'hécatombe des bêtes de somme (les vaches maigres).

Le rôle des insectes dans la propagation des maladies semble donc s'étendre à mesure qu'il est mieux étudié et compris.

Depuis la mouche des " champs maudits ", dénoncée par Pasteur comme véhicule du charbon des cadavres enfouis aux vivants, nous avons eu les démonstrations de Tizzoni et Cattani, relativement à la propagation par les mouches du choléra asiatique.

Kitasatoff et Yersin ont enfin prouvé la dissémination de la peste par les pucerons des rats malades.

Avec le rôle, aujourd'hui prouvé, des mouches pour le typhus, l'érysipèle et tous les agents de suppurations diverses, on pressent la possibilité de transmission de tous les agents infectieux, - y compris le cancer et la tuberculose, que des recherches à reprendre ont dénoncés comme transmissibles, - par le parasite du lit de l'homme, le Cimex lectularius, pour ne pas l'appeler par son nom vulgaire.

Ne vient-on pas aussi de signaler, à Toulouse, le cas d'un enfant de trois ans tué par les poux (Arch. méd. de Toulouse, août 1902) ?

Que d'ennemis intimes et minuscules qui vivent auprès de l'homme et qui le tuent !

La conclusion à tirer de tout cela est que l'humanité a encore beaucoup à faire pour réaliser l'hygiène stricte hors de laquelle il n'y aura pas de salut.

Dr Marie, Le Magasin pittoresque, n°1833, 1904, pp. 88-90.

Le surra est une maladie du bétail (parfois de l'homme) à Trypanosoma evansi, transmise essentiellement par des taons, Tabanus spp. (Dip. Tabanidés).
En France, le premier cas a été repéré en octobre 2006, sur des dromadaires. Cf note de service DGAL/SDSPA du 9 janvier 2007

Sarcophaga assidua est devenu Oxysarcodexia ventricosa (Dip. Sarcophagidé)


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