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Les insectes de la Belle Époque


Le ver à soie du chêne en Chine
 

 Un naturaliste qui a séjourné pendant dix ans en Chine, M. Albert A. Fauvel, vient de publier un travail d’ensemble sur Les séricigènes sauvages de la Chine (Ernest Leroux, éditeur, Paris) au cours duquel nous trouvons d’intéressants détails sur le ver à soie du chêne (Antherea Pernyi ou Saturnia Pernyi). Ces renseignements seront certainement utiles à ceux qui tentent d’acclimater en France les divers vers à soie exotiques (Saturnia Yama-Maï, S. Cynthia, etc.).

Le Saturnia Pernyi est un joli papillon d’un jaune plus ou moins fauve, avec, sur chaque aile, une tache ronde à centre rose et bordée de noir. L’envergure est de 11 à14 centimètres. Les œufs ressemblent à des graines de moutarde. Les chenilles, d’abord noires, muent quatre fois de suite et deviennent successivement grises, jaunes et vertes ; elles atteignent une taille de 10 centimètres et chacun de leurs anneaux présente six protubérances coniques, couronnées d’un paquet de poils noirâtres, sortant d’une tache brune ou jaune ; on y distingue aussi quelques taches bleuâtres.

Une cinquantaine de jours après leur naissance, les chenilles se mettent à filer un cocon en réunissant, par un fil de soie, les bords d’une feuille dont elles entourent en partie le cocon. Un long ruban de soie réunit la bourre de ce dernier à la branche. « Examinons la construction du cocon. Il mesure en moyenne 5 centimètres de longueur sur trois de largeur et quelquefois davantage. Les cocons des papillons femelles sont plus gros et plus lourds que ceux des mâles. Si nous dépouillons un cocon de sa bourre extérieure ou blaze (à laquelle est fixée la cordelette d’attache), et que nous le dévidions soigneusement, après l’avoir ramolli dans un bain alcalin, nous verrons qu’il est formé de trois ou quatre enveloppes successives appelées vestes. Ces vestes ne sont ni uniformes, ni complètes, en général ; elles sont plus épaisses à la partie inférieure du cocon, tandis qu’elles sont plus minces et d’un tissu plus lâche à l’extrémité opposée, celle où se trouve le ruban d’attache et qui correspond à la tête de la chrysalide. Si l’on regarde attentivement cette partie du cocon, on s’apercevra qu’elle n’est pas absolument fermée par l’entre-croisement  du fil de soie continu, sauf à dernière veste intérieure, dite telette ou pellette. Pour les trois autres enveloppes, les fils sont repliés sur eux-mêmes, formant comme une frange de boucles et de brides, assez rapprochées et agglutinées pour cacher l’ouverture ainsi ménagée par la chenille et qui est le point de réunion des boucles. » C’est par cette ouverture que sort le papillon. Les cocons femelles sont plus gros et à bouts plus arrondis que ceux des mâles.

La soie, comme celle du ver ordinaire, est formée de deux brins accolés par du grès. Sur la coupe, elle se présente sous la forme de deux triangles à angles arrondis joints par la base. Les fils sont donc aplatis comme une mèche de lampe ; à l’intérieur, il y a beaucoup d’air intercalé.

En Chine, contrairement à ce que l’on croit généralement, on recueille peu ou prou la soie du ver du mûrier, pas plus que celle de l’ailante : on s’adresse presque exclusivement au ver à soie du chêne.

C’est au commencement du mois de juillet que l’on procède à la récolte des cocons sur les chênes, en prenant à peu près autant de mâles que de femelles. On les étale sur des claies d’osier ou de bambou et, quand ils sont bien secs, on les enferme dans une chambre exposée au midi, où ils passent l’hiver suspendus en chapelets au-dessus d’un fourneau de briques. La température la meilleure doit varier entre + 2° et -2° Réaumur.

Dès le commencement du printemps, on s’occupe de favoriser l’éclosion des papillons en entretenant, pendant 45 jours environ, une température uniforme de 12 à 15° C. les papillons éclos sont de suite mis dans des paniers en osier, mâles dans les uns, femelles dans les autres ; quand les papillons sont bien remis de leur éclosion, on mélange le contenu des deux paniers. Les femelles seules sont ensuite placées dans des paniers neufs, sur les baguettes desquels elles pondent chacune de 200 à 500 œufs ; la ponte se fait plus facilement dans une pièce chauffée. « De même, dit M. Fauvel, que l’on peut acheter des cocons ou des femelles prêtes à pondre, on peut encore acheter des paniers avec des œufs. Mais il faut alors les examiner de fort près si l’on ne veut pas s’exposer à être trompé. Les marchands, peu honnêtes, ont, en effet, souvent recours à la fraude suivante : ils se procurent des paniers ayant déjà servi une fois. Ils en détachent , par un brossage énergique, les débris d’œufs et ceux qui ne sont pas éclos. On recueille ces derniers à part, au moyen d’un tamis et du vannage. Avec un peu de colle de pâte, on les fixe de nouveau à la face interne du panier, puis, au moyen d’une brosse trempée dans du sang de porc, on projette ce sang en gouttes fines sur le papier, qui se trouve ainsi maculéde taches imitant fort bien celles que laissent les femelle au moment de la ponte. On pousse même la ruse jusqu’à mettre dans le panier quelques femelles qui y déposent un certain nombre de bons œufs, et on vend ces paniers en choisissant adroitement le moment où les vers sortent des œufs. » Pas encore trop bêtes, les Chinois !

L’éclosion des œufs doit être surveillée, car il ne faut pas qu’elle ait lieu avant qu’il y ait des feuilles sur les chênes, ni que celles-ci soient trop vieilles. Dans le premier cas, on retarde l’éclosion en plaçant les œufs dans un vase enfoui dans le sol assez profondément ; dans le second, on les met dans une pièce chauffée ; on arrête alors le feu quand la forme de la chenille se dessine sous la coque. « Sitôt que les jeunes feuilles commencent à paraître, on va dans la montagne couper, sous les chênes, les jeunes rameaux portant de la racine (gourmands) et qui ont des feuilles plus tendres que celles que l’on trouve sur l’arbre, puis on les rapporte à la maison et on les pique dans des baquets pleins d’eau. On place dessus les jeunes vers pendant leur premier âge. On peut encore planter lesdits rameaux dans le sable ou la vase, au bord d’un ruisseau de montagnes à l’eau claire et douce, en un endroit abrité du vent. Sinon, on élèvera un paravent en nattes du côté où il souffle. Les jeunes branches ainsi traitées se comportent comme des boutures et donnent des feuilles tendres et abondantes. »

Quinze jours après la naissance, les vers ont 18 millimètres de longueur ; on les porte à ce moment-là dans la montagne sur les chênes en place. Là, ils vivent à l’état sauvage ; il est nécessaire cependant de faire garder les plantations par quelques enfants ayant pour fonction d’effrayer les oiseaux, et ils sont nombreux, qui voudraient croquer les vers. Au bout de 50 à 70 jours de cette vie libre, ces derniers se mettent à coconner ; c’est aux femmes et aux enfants qu’est dévolu le rôle de récolter les cocons, lesquels sont vendu aux marchands ou aux tisseurs, à raison de 1 fr. 15 les 604 grammes ; les éleveurs réservent, bien entendu, les cocons les plus gros à la seconde éducation d’été. À cette époque, le soleil étant très chaud, l’éclosion des papillons a lieu en 8 ou 9 jours ; on ne se donne pas la peine de les rentrer à la maison. On s’empare des femelles et l’on attache ensemble les ailes postérieures au moyen d’un fil dont on fixe l’autre extrémité sur la branche d’un chêne. Ce procédé a un double avantage : la femelle ne peut plus battre continuellement des ailes inférieures, ce qui gène la ponte, ensuite elle peut déposer ses œufs directement sur la branche de l’arbre dont les feuilles serviront à la nourriture des jeunes vers qui éclosent en général 9 jours après. Cette seconde éducation est beaucoup plus aléatoire que la première, car les insectes destructeurs sont en ce moment très abondants. La récolte des cocons a lieu en septembre.

ver à soie du chêne

Fig. 1 à 8. Le ver à soie du chêne en Chine.
1 - Antherea Pernyi (larve). 2 - Chrysalide; 3 - Cocon. 4 - Antherea Pernyi mâle. 5 - femelle. 6 et 7 - Coupe de deux brins formant la soie (Bombyx mori et Antherea Pernyi). 8 - Fibroïne (substance du fil, grossie).

Voyons maintenant ce que l’on fait des cocons destinés au tissage. Après en avoir tué les chrysalides par la chaleur, on les fait bouillir pendant quelques temps dans une chaudière de fer, contenant une forte lessive, obtenue en faisant dissoudre dans l’eau une certaine quantité de carbonate de potasse ou de soude. On procède alors au dévidage du fil, soit dans l’eau, soit à la vapeur. Le dévidage et le tissage de la soie ne présentent rien de particulier, nous donnerons seulement, d’après M. Fauvel, quelques détails sur le filage des cocons. En effet, pour les cocons percés, tachés, ou les cocons vides qui ont servi à l’élevage, on se contente de les filer après les avoir fortement décreusés dans un bain de soude ou de potasse, et en avoir extrait les débris de la chrysalide, au moye d’un crochet, ou simplement en coupant les deux bouts. On les lave ensuite dans l’eau pure, puis on les file à la main ou au rouet. Dans le premier cas, on prend les cocons humides, on les retourne comme un doigt de gant, et on en coiffe une douzaine les uns sur les autres, à l’extrémité d’un petit bâton, en général une baguette à manger, qui sert de quenouille minuscule. Un clou de fer recourbé en crochet, et chargé au gros bout de quelques sapèques enfilées, remplacera le fuseau. Un tube de bambou, fendu en deux et appliqué par une ligature sur le corps du clou, forme une bobine sur laquelle s’enroule le fil, au fur et à mesure qu’on le forme avec les doigts. Pendant l’hiver, c’est l’occupation des hommes aussi bien que des femmes. On peut encore filer les cocons au moyen du rouet, et les Chinois y sont tellement habiles qu’ils arrivent, en tournant la roue au pied, à filer trois fils à la fois et d’une main. Les déchets de soie, blaze et telette, ne sont pas filés, mais simplement cardés. Ils servent à ouater les vêtements et les couvertures. On les exporte aussi en grande quantité en France et en Angleterre où ils sont utilisés pour la fabrique des soieries de bas prix, entre autres une sorte de peluche imitant fort bien la peau de loutre ou de veau marin, et des couvertures de voiture. Pour sa douceur et son moelleux, la soie du chêne se prêt admirablement à cette imitation des fourrures.

 Henri Coupin, La Nature. 2e sem. 1895, p. 59-60


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