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Les insectes de la Belle Époque

LE HANNETONNAGE

C'est par centaines de milliers de francs qu'il faut évaluer les pertes causées à l'agriculture par le hanneton. M. Blanchard l'affirme dans un rapport qu'il vient de faire au nom de la Section d'histoire naturelle agricole. Or, M. Blanchard, membre de l'Institut, professeur au Muséum, est sur ce point, comme d'ailleurs sur bien d'autres, d'une compétence indiscutable. On peut le croire sur parole. Le hanneton, voilà l'ennemi !

Le hanneton dons nous reproduisons ci-après l'aspect bien connu (fig. 1) n'est pas seul coupable ; nous sommes ses complices involontaires. Nous contribuons, par la culture de la terre, à le propager. La larve du hanneton (fig. 2), très connue sous le nom de ver blanc, est incapable de vivre dans les terrains non défrichés : il lui faut un sol meuble, qu'elle puisse aisément traverser pour atteindre les racines dont elle fait sa nourriture ; il faut qu'elle puisse cheminer dans tous les sens, gagner la surface, s'il fait chaud ; pénétrer profondément dans la terre s'il fait froid. Toutes les racines lui sont bonnes, celles de la salade, des plantes diverses de la prairie, aussi bien que celles plus profondes et plus résistantes de nos arbres. Si vous voyez les pieds de salade se flétrir, s'affaisser comme après une journée de chaleur accablante, creusez la terre au pied, vous y trouverez le vers blanc ; si le gazon se fane, et disparaît peu à peu, si vos arbres fruitiers dépérissent, fouillez la terre au pied, vous verrez les coupables, vous constaterez leurs méfaits sur les racines. Celles-ci, en effet, sont rongées, vermoulues ; c'est bien ici le mot qui convient : moulues par les vers.


Figure 1. Hannetons adultes dévoreurs de feuilles


Figure 2. Larve du hanneton ou ver blanc ou mens

Plus nous remuons la terre, plus nous labourons, bêchons, binons, plus nous rendons à l'animal la circulation facile. Nous ne pouvons pourtant pas renoncer à cultiver la terre. On le voit, tout n'est pas bénéfice dans le progrès. Cherchons donc le moyen de nous débarrasser du hanneton avec un remède moins mauvais que le mal. Les autres insectes ont des ennemis, des animaux ou des végétaux qui vivent à leurs dépens ; le hanneton n'a pas de parasite ; les taupes ne lui font pas grand mal ; les oiseaux l'atteignent rarement ; que faire ?

Lorsque le laboureur promène sa charrue dans les terres, les enfants qui suivent derrière ramassent un certain nombre de vers blancs tout à fait insignifiant ; les oiseaux en dévorent également un nombre minime, et ceux qui ne sont pas glanés parviennent à rentrer en terre en peu de temps. Le froid, les intempéries peuvent-ils les détruire ? Nullement. Ni les froids rigoureux, ni les pluies abondantes n'ont sur ces animaux une action sérieuse. Nous l'avons dit, ils montent ou descendent dans l'intérieur de la terre selon que la température s'élève ou s'abaisse, et descendent d'autant plus bas que le froid est plus rigoureux.

On sait qu'à l'encontre de ce qui a lieu chez la plupart des insectes, dont le développement s'opère généralement dans le cours d'une saison ou tout au plus d'une année, trois années sont nécessaires au hanneton pour accomplir son évolution. En juin, la hannetonne pond une quarantaine d'œufs dans la terre ; de ces œufs sortent les vers blancs qui rongent les racines jusqu'à l'entrée de l'hiver, puis s'endorment jusqu'au printemps.

Au printemps, ils sortent de leur état léthargique et recommencent à manger et à grandir jusqu'au prochain hiver. Ils hibernent de nouveau et achèvent leur croissance dans le cours de la troisième année. L'automne venu, ils s'enferment dans une coque formée de terre consolidée à l'aide de leur salive, ce qui fait une sorte de mortier. Là, s'opère leur transformation en chrysalide ou nymphe (fig. 3), seconde phase de l'insecte. Dans cet état, l'animal passe l'hiver et une partie du printemps. Au mois de mai, la troisième métamorphose s'accomplit et l'insecte parfait, le hanneton, s'échappe de sa prison et sort de terre. Il vole, vole, vole et s'abat sur les feuilles qu'il dévore, de sorte qu'après s'être attaqué aux racines lorsqu'il était larve, il s'en prend aux feuilles lorsqu'il est hanneton.


Figure 3. Nymphe ou chrysalide de hanneton

Mais si l'été se prolonge, si l'automne est chaud et sec, la dernière métamorphose a lieu avant l'hiver, et l'on voit par exception des hannetons qui naissent en octobre. Cherchons maintenant le moyen de le détruire, attaquons-le à l'état de larve, puis à l'état d'insecte parfait. C'est au moment des labours qu'on pourra détruire les vers blancs. Des femmes, des enfants suivront la charrue et les ramasseront.

Veut-on un exemple pour apprécier les résultats de cette pratique ? D'après M. Reiset, le savant agronome, membre de l'Institut, dans un terrain d'environ 1 hectare, une femme a ramassé 344 kilogrammes de vers en quinze jours, ce qui suppose environ 180 000 vers. Vers l'automne, si la température est encore douce, il sera facile de découvrir les vers, car ils se trouveront alors assez près de terre. On peut, dit M. Reiset, en déterrer des quantités considérables rien qu'en promenant la herse (fig. 4) sur les terrains dont la surface n'est pas trop inégale. Un inspecteur des forêts, M. Croizette-Desnoyers, est parvenu à sauvegarder de jeunes plants de la forêt de Fontainebleau en employant un procédé analogue à celui dont on se sert contre le phylloxéra ; il introduit de la benzine dans le sol, au pied de chaque arbre. M. Blanchard pense que le sulfure de carbone pourrait également être utilisé dans le même but et de la même manière. Ce procédé convient aux vergers étendus, aux jeunes plantations de pommiers de la Normandie, qui ont beaucoup à souffrir des vers blancs.


Figure 4. La destruction des vers blancs

Ces divers moyens de destruction ne sont encore que des palliatifs. Il faut en revenir toujours au hannetonnage, car en tuant un ver blanc, on ne détruit qu'un individu, tandis qu'en tuant une femelle de hanneton, on se débarrasse des trente à quarante vers blancs auxquels elle aurait donné naissance. Pour s'emparer des hannetons, il faut les surprendre, soit le matin, de bonne heure, quand ils ne sont pas encore réveillés, soit au milieu de la journée, au plus fort de la chaleur, lorsqu'ils font la sieste. Ils sont alors accrochés par leurs pattes aux feuilles et aux rameaux, et le moindre choc suffit pour les faire tomber. On secouera donc les arbustes et les jeunes arbres ; quant aux arbres, on les gaulera comme de simples noyers.

Pour obtenir un résultat sérieux, chacun doit se mettre en campagne. Il est évident que si un seul propriétaire procède au hannetonnage, il se débarrassera des hannetons qui vivaient sur ses arbres, mais il sera bientôt infesté par ceux des voisins. Rien ne sera fait tant que chaque propriétaire ne sera pas contraint par une loi à procéder au hannetonnage et à recueillir un volume déterminé de hannetons. La chose en vaut la peine ; le bénéfice qui en résultera compensera largement le travail et les faibles dépenses occasionnées. La récolte faite, il reste à procéder à l'extermination. Nous n'avons pas trouvé, jusqu'à présent, de moyen plus économique, plus rapide et plus efficace que le bain d'eau bouillante. Rien que la cuisson est capable de faire mourir le hanneton. M. Blanchard propose de faire appel aux agriculteurs, aux Sociétés d'agriculture, pour obtenir leur concours, aux conseils généraux pour en avoir soit des subsides, soit le hannetonnage des arbres qui bordent les chemins et les routes, et enfin aux pouvoirs publics pour établir une loi prescrivant l'obligation du hannetonnage. Il y a là un moyen de venir en aide à l'agriculture sans grande dépense et sans difficulté qu'on ne saurait dédaigner par ce temps de misère agricole. Nous souhaitons que l'appel de M. Blanchard soit entendu.

Les gravures qui précèdent, complètent notre notice : la figure 1 représente le hanneton adulte. Celui qui vole montre ses quatre ailes. Lorsque l'animal ne vole pas, les deux inférieures minces sont repliées, recouvertes et emboîtées par les deux supérieures qui sont d'une consistance cornée. Les antennes, sortes de petits appendices déliés que les insectes ont sur la tête, sont chez le hanneton, terminées par de petits panaches qui forment la massue.

Dans la figure 2 on voit des vers blancs d'âges différents. Un groupe d'œufs est figuré à gauche au bas. Les larves sont toujours repliées sur elles-mêmes. Elles s'attaquent aux racines d'un fraisier.

La figure 3 montre la nymphe du hanneton. C'est le deuxième état de l'animal. Sous cette nouvelle forme, il est immobile et comme plongé en léthargie. Il s'est préalablement enveloppé dans une coque de terre agglutinée avec de la salive. Là s'achève son développement. Il en sortira à son état dit parfait ou adulte et viendra au jour en se faisant un passage dont on voit l'ouverture à la surface de la terre.

Dans la figure 4 on voit le laboureur promenant sa herse qui, en grattant la terre, met les vers à découvert. Femmes et enfants ramassent les vers : les corbeaux, corneilles, pies, etc. en mangent une partie.

Félix Hément
La Nature, 1889. Dix-septième année, premier semestre, p. 391-394

Dans Flaubert (Bouvard et Pécuchet, 1880), on lit " Il imagina, pour détruire les mans, d'enfermer des poules dans une cage à roulettes, que deux hommes poussaient derrière la charrue; ce qui ne manqua point de leur briser les pattes "

Il a existé, dans des fermes allemandes, des Hünerwagen, cages sans fond sur roues tirées par un cheval.

Autre nom commun de la larve de Melolontha melolontha (Col  Melolonthidé) : le turc.


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