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Les insectes de la Belle Époque


LE VER A SOIE BRÉSILIEN

Pendant la longue période de prospérité du ver à soie du mûrier on s'est fort peu occupé des autres espèces sérigènes ; celui-là suffisait amplement. Avec les désastres, on a réfléchi, on a observé : les espèces de lépidoptères qui produisent de la soie sont nombreuses, certaines d'entre elles ne peuvent-elles pas suppléer au précieux bombycien du mûrier? Déjà la Nature a fait connaître les espèces du chêne et de l'ailante, les premières en voie persévérante d'introduction. L'ailante est véritablement et complètement acclimatée aujourd'hui, grâce aux efforts de la Société d'acclimatation ; son papillon vit libre et sauvage dans nos squares, sa chenille suspend ses cocons aux ailantes de nos boulevards. Cette espèce offrira toujours des grands avantages sur toutes les autres, alors même que, avec les méthodes de sélection rationnelle propagées par un savant illustre, nos races indigènes auront repris leur ancienne vigueur ; on sera en possession de nouvelles espèces de vers à soie, et leur soie, bien que souvent inférieure, trouvera toujours son emploi. L'industrie a besoin de matières textiles variées, pour obéir à ces caprices multiples de la mode qui donnent le pain à des milliers de familles.
L'impulsion émanée d'Europe s'est étendue partout. Au Brésil, un souverain éclairé, à demi Français par ses alliances, hôte récent et si apprécié de l'Angleterre et de la France, encourage de son initiative puissante toutes les tentatives pour tirer parti des ressources naturelles d'un immense et magnifique pays. Les forêts du Brésil renferment plusieurs espèces de ces Attacus dont les cocons pédiculés pendent aux arbres comme des fruits, de même que ceux de l'Attacus mylitta de l'Inde, employés de toute antiquité pour fabriquer la soie tussah et 1'étoffe dite tussor. Ceci nous explique l'erreur d'Aristote, disant que la soie indienne provenait d'un fruit. Parmi les producteurs de soie du Brésil et de la Guyane on a distingué, à ses qualités précieuses et à son abondance, l'Attacus aurota, Cramer. C'est l'espèce la plus répandue, commune sur tout le littoral, depuis Rio de Janeiro jusqu'au nord de l'empire et au delà, existant aussi dans les provinces intérieures, mais ne s'élevant pas sur les montagnes, du moins celles de la province de Rio. L'insecte est polyphage, avec quelques végétaux de prédilection dans la famille des Euphorbiacées ; tels sont surtout le ricin, arbre ou arbuste selon le climat, et qui croit de lui-même en abondance dans tous les pays chauds ; puis le manioc (Jatropha manihot) dont la racine féculente pilée, et privée par le lavage de son suc vénéneux, constitue le tapioca. La chenille mange aussi les feuilles de l'acajou, du bambou, de l'oranger, du pêcher, du fusain, etc. Elle est d'un beau vert, sans épines, avec les incisions des anneaux d'un jaune vif, et sur ceux-ci quatre tubercules d'un rouge orangé entourés de petits poils. Sibille Mérian qui, au début du dernier siècle, observait et dessinait les insectes dans les jardins de Surinam, a laissé une assez bonne figure (1719) de cette chenille, qu'elle rencontrait sur les orangers. Pour se transformer en chrysalide elle se file un cocon, ouvert naturellement à l’extrémité par où sortira le papillon, tandis que ceux des vers à soie du mûrier et du chêne sont clos de toute part, et doivent être percés par l'insecte, qui écarte les brins de soie avec sa tête à l'un des pôles. La couleur de la soie est d'un gris plus ou moins ocreux, et l'extrémité du cocon opposé au trou (le sortie tient à la branche ou à la feuille par un pédicule soyeux contourné, qui n'est pas toujours aussi développé que celui de notre figure. La filature de ce cocon est aisée. Sibille Mérian avait rapporté en Hollande de la soie de cette espèce de la Guyane, et prédisait qu'on en pourrait tirer un grand bénéfice. Persoz, dans ses essais de dévidage à la main faits au Conservatoire, signale le cocon de l’Attacus aurota comme un des mieux dévidables ; M. Forgemol, de Tournon, avec ses épingles à olives destinées au dévidage des cocons ouverts, a obtenu un soie grège très-belle, élastique et plate, d’un joli brillant, intermédiaire entre celles du ver du chêne de Chine et du ver du ricin (espèce qui ne s’élève plus aujourd’hui en Europe), d’un éclat bien supérieur à celle de ce dernier. L’essai au sérimètre a donné une ténacité de 64gr,6, un allongement moyen de 14,5 p. cent. Le fil mesure 383,885 mètres au kilogramme, et 75 cocons ont fourni 20 grammes de soie grège, beau rendement. On utilise aussi ces cocons pour filoselle ou fantaisie, après cardage, ainsi que l’a fait autrefois M.A. Chavannes, de Lausanne, dans un séjour de plusieurs années au Brésil. On fait tremper les cocons dans une lessive alcaline bouillante d'eau de cendres de bois, afin d'enlever la matière qui agglutine les fils, jusqu'à ce qu'il soit facile d'enlever à la main le fil même des couches le plus profondes ; on lave alors les cocons plusieurs fois dans l'eau pure, on les fait sécher, puis on les carde. La durée totale de la vie de l'insecte varie de vingt-huit jours, dans les chauds étés brésiliens, à quarante en hiver, par 16° de température moyenne. Les papillons sortent de la chrysalide le soir ou la nuit ; ils ne ressemblent guère au petit, lourd et insignifiant papillon du ver à soie du mûrier, tant par leurs riches couleurs que par leur taille, qui atteint dans les grands sujets une envergure de 190 à 215 millimètres.



Attacus aurota
Papillon mâle (sujet très petit) - Cocon - Chenille sur le ricin

On a pu admirer, dans l'été de 1867, ces beaux papillons à la magnanerie expérimentale du bois de Boulogne, où ils provenaient de cocons donnés par M. Dionisio Martins, commissaire du Brésil à l'Exposition universelle. Leurs larges ailes sont marquées de taches nacrées trigones, transparentes comme du mica ; un beau pourpre assombri domine dans la couleur du fond, que rehausse une bande transversale de taches triangulaires rosées ; les antennes sont plumeuses, surtout chez les mâles, caractère général du genre Attacus. Si d'ordinaire il éclôt en quelques semaines, il peut passer en chrysalide plusieurs mois et même des années sans sortir, fait général pour les papillons de son genre ; ainsi notre grand paon de nuit (Attacus pyri, Linn.), ordinairement annuel, a pu demeurer jusqu'à sept années en vie latente. On peut opérer au Brésil les éducations de cette espèce soit à la chambre, sur des rameaux de ricin coupés, soit mieux dans des enclos, près de la maison, à l'air libre. Il est bon de mettre dans les premiers jours les petites et très-faibles chenilles sur des plantes en pots, afin de les mieux protéger contre leurs ennemis, les guêpes, les fourmis, les araignées ; puis on les porte sur les arbres, en entourant les branches à chenilles de larges manchons d'une claire mousseline, qui empêche les guêpes de les dépecer en morceaux; de même que pour le ver à soie du chêne, ces chenilles, très-sédentaires en liberté, vagabondent au contraire en magnanerie, tourmentées et inquiètes de leur captivité. M. de Capanema, qui s'occupe beaucoup en ce moment de ces éducations, recommande de laisser les mâles s'envoler en liberté, et d'attacher les femelles sur des morceaux d'agave, au moyen d'un fil qui entoure leur corselet sans les blesser. C'est le procédé que suivait M. Chavannes, et aussi Perrottet, lorsqu'il élevait l'Attacus mylitta, aux environs de notre colonie indienne de Pondichéry, On suspend les bois portant ces femelles aux branches des arbres, à l'entrée de la nuit, à l'abri du vent. Elles sont fécondées de grand matin par les mâles rendus libres à cet effet, ou par ceux qui viennent d'eux-mêmes, et d'une grande distance, des profondeurs des bois. Il faut lâcher le plus de mâles qu'on peut, car certains sont toujours dévorés par les chauves-souris et les oiseaux nocturnes, ou bien débauchés par les femelles sauvages et non attachées. Les femelles fécondées sont ensuite mises dans des boites fermées contenant des toiles flottantes ; elles pondent en plusieurs nuits, de deux à quatre cents œufs selon les sujets. On les décolle des toiles, comme la graine du ver à soie, et ces neufs éclosent en une douzaine de jours, pourvu que la température reste toujours supérieure à 15°.
Comme un abaissement de température à 10° arrête tout développement chez cette espèce, il n'y a pas lieu, je pense, d'essayer d'introduire l'Attacus aurota, même dans le midi de la France ou en Algérie, où le froid est par moments assez intense. Les chenilles qui sont nées au bois de Boulogne en 1867, et qu'on nourrissait avec des feuilles de fusain, sont mortes aux premiers froids d'octobre. C'est une espèce dont il faut encourager au contraire l'éducation sur place au Brésil, et dans la Guyane française, où elle vit aussi à l'état sauvage.

Maurice Girard, La Nature, 1er sem. 1874, p. 408 à 410.

Gravure extraite du Bulletin de la Société d'acclimatation, mars 1874.

Le ver à soie brésilien illustré en couleurs dans le Dictionnaire D'Histoire Naturelle de Charles Orbigny (1849)

Ver à soie brésilien : Rothschildia aurota  - proposé pour l’élevage par l’OPIE

Bombyx de l’ailante : Philosamia cynthia
Grand Paon de nuit : Saturnia pyri
Ver du chêne de Chine : Antheraea pernyi
Ver du ricin : Philosamia ricini
Ver à soie tussar : Antheraea mylitta
Tous de la famille des Saturniidés


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